Nationalité américaine Né en 1943 à Holyoke (États-Unis) Vit et travaille à New York (États-Unis) | Biographie Liste expositions |
William Wegman est un joueur enjoué, occupé dans son studio à fabriquer des situations savamment comiques et incongrues, activées en un instant par la collision entre le réel et la fiction. Ses mises en scène photographiques et vidéos sont de petits scénarios directs, actions brutes et sans commentaires - qui s'apparentent bien souvent à la rencontre inattendue dans le cadre d'une caméra, d'un chien et d'une flaque de lait, d'un doigt et d'un fil de fer ou d'un rideau et d'une idée frappante [1]. Pour Wegman, le tournant de sa carrière a lieu en 1970, évènement qu'il raconte ainsi dans Eurêka [2]: en reproduisant, dans une intention humoristique, la forme du diamant de sa bague par des petits ronds dessinés sur ses doigts, il se rend à un buffet où, se servant une tranche de saucisson, il est frappé par un deuxième effet miroir : les ronds sont "aussi" la forme des graines de poivre tranchées qui parsèment la charcuterie [3]. On trouve ainsi dans la photo qui découle des cet évènement (Cotto,1970, Craig F. Starr Gallery) les éléments piliers de sa démarche : l'utilisation d'un matériel trivial et sans valeur, la prise de vue rudimentaire, le scénario humoristique né de la rencontre "par hasard" avec un objet, l'utilisation de plusieurs niveaux de sens et un goût prononcé pour l'effet de recul créé par la fausse analogie.
Né en 1943 à Holyoke dans le Massachusetts, William Wegman obtient un B.F.A en Peinture au Massachusetts College of Art en 1965. En 1966, il intègre des sculptures gonflables aux performances qui ont lieu à l'Electric Circus, club mythique de l'East Village (New York) loué par Andy Warhol [4]: à cette époque Wegman apprécie d'associer ses sculptures à des environnements interactifs avec son, lumières et projections. Après avoir obtenu son M.F.A --en peinture- à l'Université de l'Illinois en 1967, il abandonne la discipline pour un temps au profit de la photographie et de l'expérimentation vidéo [5]. De 1968 à 1970, il enseigne à l'Université du Wisconsin. Wegman évolue dans le campus en pleine effervescence [6] et "[...] c'est peut-être pourquoi je me suis tourné vers la vidéo - dit-il - parce qu'elle était comme un petit sanctuaire, je pouvais travailler dans une pièce fermée, avec personne autour. [...] En même temps, elle me permettait potentiellement de toucher un public énorme" [7].
Dès lors, son territoire n'est pas étranger à celui de l'Art Conceptuel - au moins dans sa dimension intellectuelle - duquel il explore les marges avec ironie. Il évolue dans le monde grisant qui s'étend entre les parois de son crâne - qui abrite petites histoires et menus gags du quotidien [8] : "C'est toujours quand on est tout seul qu'on a les meilleures conversations"[9]. Mais attention le processus est très sérieux, Wegman ne rit pas, il est "impassible". Le jeu de distorsion que sa voix en off provoque vis à vis de l'image est central : les actions sont soumises à cette voix monocorde, passive, qui débite méticuleusement des soliloques parfois dignes de Samuel Beckett [10], jouant de toutes sortes d'effets de doublage, de comparaison, de disjonction et de déplacement.
A l'automne 1970 Wegman s'installe en Californie du Sud, où il enseigne pendant une année au California State College de Long-Beach. Il y côtoie notamment Ed Ruscha [11] et fait la rencontre de John Baldessari et Bruce Nauman, fervents utilisateurs d'objets banals et d'observations locales. A l'époque, la démarche de Wegman est proche de la leur - le premier performant devant l'objectif ses actions de peu dans le huis clos de son atelier et le second dont on pourrait dire qu'il fait preuve d'une attitude pince-sans rire. De plus, leurs modes opératoires sont similaires : souvent frustres tant dans la production que dans l'effet, leurs bandes documentent des processus, dispositifs de performances.
C'est aussi à Long-Beach que Wegman adopte son premier chien - Man Ray - protagoniste obéissant et fidèle des excentricités de son maitre [12]. Man Ray devient même l'alter ego de Wegman, dont le transfert d'identité constitue le ressort central de la tension comique : il boit comme lui dans un verre de lait, se trouve affublé de sentiments, piégé dans des parodies d'actions humaines. Après la mort de Man Ray en 1981, Wegman continue sa collaboration avec une famille entière de Braques de Weimar et ce sur quatre générations [13], en commençant par Fay Ray qu'il adopte en 1986 et avec laquelle il utilise en particulier le Polaroid 20 x 24 [14]. Dès 1989, Wegman réalise une série de films éducatifs pour l'émission Sésame Street, programme destiné aux jeunes enfants, mettant en scène la troupe de chiens dans des costumes d'être humains, occupés à faire du pain, présentant un salon de coiffure, ou mimant une séance de peinture (voir pour exemple Alphabet Soup, Fay's Twelve Days Chrismas ou Mother Goose). En 1995, Wegman réalise le film intitulé The Hardly boys in Hardly Gold, fondé sur le même procédé de mise en scène canine. Les Braques de Weimar, vedettes incontestées de l'oeuvre de Wegman, se retrouvent aussi dans des livres pour enfant (Cendrillon et Le Petit Chaperon Rouge en 1993) et dans des photographies de mode, avec notamment une campagne réalisée pour Max Mara en 2001, Max Mara Dog 109.
William Wegman vit à New-York et Maine, où il continue à réaliser des vidéos, des travaux photographiques, des dessins et des peintures.
Le travail de Wegman a fait l'objet de plusieurs rétrospectives : Wegman's World, en 1981 au Walker Art Center (Minneapolis) avant de circuler, entre autres, au Los Angeles County Museum of Art et à la Holly Solomon Gallery (New York); mais aussi William Wegman : Paintings, Drawings, Photographs, Videotapes 1970-1990, organisée par le Kunstmuseum de Lucerne en 1990, qui voyagera quant à elle au Centre Pompidou (Paris), au Stedelijk Museum (Amsterdam), à la Kunstverein de Francfort et à l'Institute of Contemporary Art de Londres. L'Addison Gallery of American Art lui a enfin accordé une autre exposition monographique en 2006 - intitulée Funney/Strange - a retrospective of Wegman's work - dont le catalogue est publié par Yale University Press. Ses travaux ont aussi été exposés dans le cadre de nombreuses expositions collectives dont la fameuse Live in your head : When Attitudes Become Forms d'Harald Szeeman (1969) ; mais aussi dans des Biennales et festivals internationaux ( Documenta de Cassel, Biennale du Whitney Museum of American Art, Kunsthalle de Vienne, Biennale de Venise ... ). En 2012, une sélection de vidéos de Wegman figure dans l'exposition Vidéo Vintage 1963-1983 au Centre Pompidou. D'autre part, ses photographies ont été publiées dans plusieurs ouvrages, dont Man's Best Friend (1982) et William Wegman : Paintings, Drawings, Photographs, Videotapes (1990-91). Une compilation de travaux réalisés entre 1970 et 1990 a néanmoins été publiée en double DVD par Artpix en 2006.
Manon Schwich
[1] Références aux travaux intitulés Drinking Milk, Crooked Finger - Crooked Stick et Untitled - vidéos en noir et blanc réalisées entre 1970 et 1978, que l'on retrouve dans la compilation publiée en DVD par Artpix - William Wegman, Video Works 1970-1999 - 2006.
[2] Texte manifeste, rédigé en 1970.
[3] Voir le tirage photographique né de cette anecdote, Cotto, 1970.
[4] Une autre installation de ses structures gonflables à lieu en 1968 dans la performance intitulée Famous Powder Dance, toujours à l'Electric Circus. En 1967, il crée aussi une performance de 24h avec John Cage dans l'Illinois, pour laquelle il rempli entiune salle avec l'une de ses sculptures gonflée. Voir Joan Simon, oeuvre citée ci-dessous.
[5] Il dit d'ailleurs avoir trouvé pour la première fois une caméra à l'Université de l'Illinois. Encore une rencontre fortuite qu'il raconte à David Letterman dans Late Night, émission originellement diffusée le 11 Février 1982 sur WNBC 4, New-York.
[6] Le campus est le théâtre d'une grande mobilisation contre la Guerre du Vietnam.
[7] William Wegman, cité par Joan Simon (dir.), "Eureka 1970-1978" in William Wegman : Funney / Strange, Yale University Press, 2006, p. 39.
[8] Voir Joan Simon (dir.), "Eureka 1970-1978" in William Wegman : Funney / Strange, Yale University Press, 2006, p. 23-46.
[9] Citation de William Wegman, in Maud Lavin, "Notes on William Wegman" Artforum, Mars 1975, pp. 44.
[10] Comparaison tirée du New Yorker, cité dans la biographie de l'Artiste publiée sur Electronic Art Intermix. URL : http://eai.org.
[11] Qui devient par ailleurs son premier collectionneur.
[12] Il est intéressant de noter que Wegman considère aussi Man Ray comme un objet trouvé, entré dans le cadre de sa caméra par hasard, poursuivant l'imaginaire Surréaliste emprunté par le choix du nom Man Ray. Voir l'émission de David Letterman citée en note 5.
[13] Après Fay Ray viennent les petits de Fay Ray, Battina Crooky et Chundo ; puis la troisième génération, composée de Chip, Bobbin et Candy ; et puis la quatrième, Penny, petit de Bobbin. Voir le site de l'artiste pour plus d'information sur la filiation de la famille Wegman à quatre pattes.
URL : http://www.williamwegman.com/about.html
[14] Voir par exemple Rolleramer, Polaroid 20 x 24, couleur, 1987.