Stations, 1982

BVU, PAL, couleur, son


Stations est une fiction en treize chapitres qui forment autant de paliers dans l'exploration d'un imaginaire enfantin. Un inconnu omniscient donne une montre à un enfant. Les aiguilles défilent à rebours, elles stigmatisent la rêverie du jeune garçon à travers le temps. L'oeuvre s'articule autour d'une maison familiale. A l'intérieur d'une représentation à la Norman Rockwell - le père de profil qui lit le journal, la mère de dos à la cuisine -, l'enfant, absent, regarde par la fenêtre. Robert Wilson y place des incrustations, chacune illustre les thèmes du vidéogramme (Feu, Métal, Vent, Neige, Eau...). Cette lucarne où se dirige le regard de l'enfant est le lieu nodal entre sa vie intérieure et sa perception du monde extérieur. Elle représente, pour reprendre les termes de Paul Virilio, la "troisième fenêtre" : ouverture non pas sur l'espace externe, mais sur le monde opto-électronique et imaginaire. Sous le regard impassible de l'enfant tout un monde pénètre à l'intérieur du domicile familial. Des guerriers envahissent la cuisine, des câbles enlacent le père et la mère, les heures continuent à s'écouler à l'envers au poignet du garçon, un pont s'écroule, des militaires paradent, des abeilles gigantesques déchirent l'espace, une pyramide s'édifie, des enfants hurlent... Les parents se tournent parfois vers leur fils pour observer l'intensité de son mutisme, son air imperturbable. La tempête est sous son crâne. L'inconnu, tel le Mabuse de Lang, apparaît aux commandes de moniteurs qui retranscrivent toutes les scènes. Il en modifie le cours, il en brouille la mémoire. Les treize niveaux de Stations semblent autant de borborygmes issus d'un cerveau replié sur lui-même ou en plein sommeil paradoxal. L'enfant soumet ses parents aux pires catastrophes inventées par son imagination, opérations autorisées par le Manipulateur d'images qui permet au garçon de laisser libre cours à son imagination sans le retour d'une quelconque mauvaise conscience. L'agencement du montage de ce vidéogramme chemine entre mémoire personnelle (de la scène familiale qui se consume, à la cuisine qui se remplit de poussière : satisfaction de l'imaginaire de l'enfant) et mémoire collective (images d'actualités anciennes). La musique (piano) est expressive comme au temps du cinéma muet. Stations se clôt sur un "happy end", où la famille se retrouve dans l'allégresse et le Manipulateur emporté par les eaux.


Dominique Garrigues