Ghost of Asia, 2005

2 projecteurs, 1 synchroniseur,
2 bandes vidéo, PAL, 4/3, couleur, son (Thaï, s-t.ang.) 9'11


Collaboration entre deux artistes travaillant la vidéo et l'installation dans la proximité d'une œuvre cinématographique, Ghost of Asia filme des enfants sur une plage d'une île thaïlandaise jouant à donner des ordres à un homme. Complices depuis plusieurs années, Apichatpong Weerasethakul et Christelle Lheureux étaient présents sur les lieux pour tourner une vidéo sur le tsunami, lorsque la rencontre avec un groupe d'enfants a donné forme à un jeu, celui de les laisser maîtres de l'action cinématographique. Ils dirigent ainsi l'acteur en laissant libre cours à leur imagination, lui demandant de faire tout ce qui leur passe par la tête. La vidéo est structurée par une double projection sur deux écrans opposés. D'un côté, les enfants sont filmés dans des prises de vue très courtes et coupées par des noirs. On a juste le temps d'entendre leur consigne, qui commence avec des airs du Petit Prince de Saint-Exupéry par des désirs de dessins, pour évoluer ensuite vers des ordres plus autoritaires, criés par des visages sérieux, bien que la succession des actions ne réponde à aucune finalité précise (" bois du lait ", " attrape un lézard ", … ). Le rire arrive enfin lorsqu'un enfant demande à l'homme d'aller faire caca. Sur l'autre écran, l'homme accomplit dans la bonne humeur toutes les actions, les réalisant avec une facilité surprenante accentuée par un montage accéléré qui donne une tonalité burlesque à la scène. Le titre Ghost Of Asia renvoie à la croyance aux fantômes inscrite dans la culture thaïlandaise et qui est récurrente dans les films d'A. Weerasethakul, où les vivants et les morts se côtoient dans une grande douceur. Ici les enfants jouent à dompter un fantôme qui n'a rien d'effrayant, mais qui évoque les nombreux corps qui ont jonché ces plages paradisiaques après le Tsunami. Le temps d'une vidéo, le traumatisme est oublié et les enfants retrouvent par l'imaginaire et le jeu, celui du cinéma, une autorité sur les actions des esprits errants. A la fin, la musique s'arrête et permet de retrouver le son de la prise de vue, celui des vagues et des conversations, d'une guitare et d'un chant, radoucissant l'atmosphère où résonnent les rires des enfants. Si les deux artistes ne sont pas intervenus au moment du tournage, restant en retrait de l'action comme bien souvent dans l'œuvre de Christelle Lheureux, le cadrage et le montage affirment un point de vue très fort qui construit la perception que l'on a de la scène. Filmés dans le même espace temps, puisqu'au début l'homme dessine directement sur le dos d'un enfant, le traitement des deux prises crée un décalage entre les deux. Tandis que l'homme est filmé en plan large et donc inscrit dans une atmosphère estivale et touristique (on le voit sur un plongeoir, sur un bateau,…), les enfants sont cadrés en plans serrés, isolés, les visages baignés par une belle lumière qui renforce la dureté de leurs expressions. Leurs apparitions, rythmées par la succession des noirs, crée une frustration, un sentiment d'irréel, d'étrange. Assis au milieu des deux écrans, le spectateur doit mobiliser la dynamique de son regard pour suivre le rythme très rapide des actions. Immergé dans le noir, captivé par les images et par une bande-son très rythmée et répétitive, il se retrouve à son tour manipulé, sans respiration possible, plongé au cœur d'une vision de l'enfance, d'un monde un peu fou où les frontières entre l'imaginaire, le rêve et le réel deviennent ténues.


Mathilde Roman