Biographie
Figure majeure de la toute jeune scène artistique californienne dès les années 1970, John Baldessari est né à National City, dans la banlieue de San Diego le 17 Juin 1931, et vit toujours sur la côte ouest des Etats-Unis. La ville moderne incarnée par ces banlieues vastes et ensoleillées est un sujet important dans son travail. Fondamentalement californien, il reste loin de la tradition et des centres artistiques historiques, incarnant un modèle alternatif à l'hégémonie new yorkaise de l'après-guerre.
Issu de la classe moyenne, John Baldessari fait tout son parcours scolaire et universitaire entre San Diego et Los Angeles. Par la suite et pour subvenir aux besoins de sa famille, il enseigne l'art d'abord à l'école puis devient professeur à l'Université de San Diego. Sa carrière d'universitaire le maintient dans une distance avec le milieu de l'art, lui permettant de poursuivre son travail de façon indépendante. D'autant plus que la vie de famille avec 2 enfants le marginalise d'une scène artistique, très imprégnée du mode de vie pop de la Factory et du refus de la convention de la Beat Generation, fraîchement arrivée de l'Est. Il expose néanmoins très tôt et fait sa première exposition solo en 1960 à La Jolla Art Center de San Diego, où il habite.
En 1970, le Cremation Project marque une rupture importante dans son parcours. Alors qu'il peint depuis des années, persuadé que "le monde a trop d'art", il décide d'incinérer l'ensemble de sa production de 1953 à 1966. Reste une urne avec les cendres ainsi qu'une annonce officielle dans le journal et une plaque commémorative. Il utilise une partie des cendres pour faire des cookies, rendant à la terre son dû. Dans cette démarche teintée d'ironie, la recette de cuisine désacralise la solennité du geste, ramenant l'œuvre d'art à un produit de consommation ludique.
Ses premières peintures restantes sont une série de tableaux-textes, démarrée en 1966. Peints en lettres capitales directement sur la toile, des phrases réfèrent directement à des théories artistiques. Très imprégné du structuralisme de Claude Lévi-Strauss, il substitue le mot à l'image, considérant qu'il " ne voyait pas ce que l'un faisait que l'autre ne faisait pas".
En 1968, lors de sa première exposition solo à Los Angeles, capitale artistique de la Côte Ouest, le vernissage a lieu en même temps que Joseph Kosuth, figure emblématique de l'art conceptuel. Ce dernier considère les photos-textes de Baldessari comme des œuvres pop amusantes, refusant toute parenté avec lui. Là encore, la place de Baldessari est vue comme marginale, n'entrant dans aucune catégorie ou mouvement défini. En réponse à un texte de Kosuth niant sa démarche conceptuelle car trop ironique, Baldessari rétorque en 1972 avec une vidéo dans laquelle il chante les modèles théoriques de Sol LeWitt sur des airs populaires, se plaçant résolument dans une posture humoristique et ironique.
La place du mot va rester centrale, notamment dans ses films et vidéos. Entre 1968 et 1977, plus de 60 films et vidéos sont tournés. En 1971, il écrit de façon répétitive, à la manière d'un écolier puni, pendant toute la durée d'une cassette vidéo "I will not make any more boring art" (je ne ferais plus d'art ennuyeux). On retrouve là des thèmes chers à Baldessari, la référence à l'enseignement, l'énoncé sur l'art, l'échec sous forme d'une punition, la banalité, l'autodérision.
La tentative ratée est un thème récurrent, comme dans Throwing Three Balls in the Air to Get a Straight Line (Best of Thirty-Six attempts), tentatives pour faire une ligne avec 3 balles sur la surface bleue du ciel. L'utilisation de l'instantané ponctue des actions quotidiennes ou banales, jouant avec son environnement le plus proche. En photographiant le dos de tous les camions qu'il double en roulant de Los Angeles à Santa Barbara, Californie le 20 janvier 1963 (The backs of all the trucks passed while driving from Los Angeles to Santa Barbara, California, Sunday 20, January 1963), il crée un jeu de répétition à la façon des minimalistes, tout en travaillant sur son intimité et donc, encore une fois, c'est un jeu ironique sur l'objectivité artistique.
La proximité de son lieu de vie avec la plus grosse industrie du film n'est pas anodine. La référence au cinéma est présente dès 1968, avec notamment Semi-Close Up of Girl by Geranium (Soft View), plan rapproché de jeune fille près d'un géranium (lumière indirecte). Le cinéma devient un matériau plastique dans son œuvre, avec une utilisation directe de photogramme. Dans les années 70, Baldessari disait à ses étudiants que le plus grand artiste visuel des années 60 était Jean-Luc Godard, avec une fascination pour son extrême discontinuité narrative, son décalage entre le mot et l'image, et son montage. "Ce qui m'a détourné de l'image fixe ce sont les films. J'ai commencé à regarder les tableaux alignés dans les musées comme des plans dans un film."
Malgré le succès grandissant, ce n'est qu'en 1986, alors qu'il vient de recevoir une bourse du Guggenheim, qu'il peut enfin se permettre d'arrêter d'enseigner au California Institute of the Arts de Valencia, pour se consacrer exclusivement à son travail d'artiste. Il reprendra l'enseignement en 1996 à l'Université de Los Angeles. Ses œuvres de plus en plus grandes se déploient dans l'espace, créant des ensembles de plus en plus complexes. Sa marque de fabrique devient alors un acte de négation de l'image. Il recouvre les photos de mass media de points colorés, leur rendant une forme d'anonymat. Cet acte léger d'oblitération marque un tournant dans sa carrière. Masquer des éléments distinctifs d'une image va paradoxalement lui faire bénéficier d'un succès étonnant, puisqu'il va même se retrouver sur une publicité Gap en 1993. Puis sa méthode de substitution et d'altération se transforme. Son utilisation des points ronds colorés, devient une oblitération de l'image par aplats colorés sur des surfaces entières, recouvrant des personnages ou des plans. Dans un questionnement de la peinture en constant renouvellement, Baldessari affirme: "Très vite j'ai choisi d'utiliser la couleur comme un signal, d'une manière non esthétique, même si finalement, on ne peut pas empêcher la couleur d'être esthétique.(...). Appliquer de la peinture fut pour moi un moyen d'obtenir 2 surfaces, de complexifier le niveau de perception de l'œuvre." La distinction entre peinture et photographie devient obsolète.
S'il crée des découpes dans l'image, il en crée aussi autour de l'image, en coupant et montant les photos. Il obtient des ensembles de plus en plus imposants et complexes, créant des liens entre chaque partie par des jeux de métonymie, de hors-champ et de couleurs, donnant lieu à un effet cinématographique, une sorte de montage alterné. Dans Bloody Sundae (1987), des cercles de couleurs sur les visages de 2 photos aux univers différents créent un lien entre les deux toiles. L'unité de l'ensemble tient à un subtil jeu de cadres dans le cadre, amplifiant la notion cinématographique que l'on retrouve dans les 2 scènes. Dans l'une, un couple s'embrasse au lit alors que dans le tableau supérieur 3 hommes sont en pleine action avec des revolvers à la main. La combinaison des scènes et des niveaux de langages variés dans une même composition montre l'intérêt accru de Baldessari pour la philosophie contemporaine du langage, qui n'est plus seulement le domaine du mot et de l'écriture mais aussi, selon Wittgenstein, celui de toutes les formes d'expression non-verbale. L'artiste a toujours travaillé indistinctement les supports et les formats, manipulant texte, image ou film, pour arriver à une définition élargie de la peinture.
Dernièrement les distinctions affluent. Il reçoit un lion d'or pour sa carrière lors de la 53e Biennale de Venise en 2009. La même année, une des rétrospectives les plus complètes de son travail intitulée Pure Beauty a lieu à la Tate Modern.
Patricia Maincent