Biographie
Certains artistes contemporains, dont Rachel Reupke, ont fait des problématiques relatives aux images critiques (entre image en mouvement et image fixe) leur objet principal de recherche et d'expérimentation, dans la perspective de défaire l'image et de suspendre le temps. Chez ces artistes, la confrontation entre la vidéo, le cinéma, la photographie s’effectue en soulignant les ambiguïtés de lecture et de perception par des images dotées d’indices temporels très ténus. Le montage, la basse vitesse de défilement des vidéos de ces artistes déréalisent les images et soulignent l’ambivalence des représentations.
La photographie numérique, notamment, constitue un enjeu théorique et esthétique, dont se sont emparés les artistes. Ni produite, ni reproduite, elle engendre un type de “représentation” par scanning, synthèse et codage numérique, engendrant un régime temporel paradoxal : l’enregistrement du temps par la photographie analogique (le “ ça a été ” irréversible de Roland Barthes) laisse place au troublant paradoxe de sa reconstruction par le codage digital La notion de “ temps réel numérique ” qu’analyse Bernard Stiegler dans son ouvrage La technique et le temps (1996-2001) “ expose ” ces courts-circuits des temps grammaticaux, de la préséance de l’après sur l’avant, qu’engendre l’écriture numérique .[1]
Comme chez David Claerbout, l’œuvre de Rachel Reupke se situe entre la photographie, la vidéo, le cinéma, la peinture, interrogeant le paysage, naturel ou urbain, construit à l’aide de logiciels numériques. Dans ses œuvres vidéo, ses installations ou ses projets conçus pour le web, l’artiste invente des paysages panoramiques artificiels, paysages de synthèse qui ressemblent à d’anodines cartes postales. Tel est “ Parc naturel ” (2003), plan fixe sur un lac naturel filmé dans les Ardennes, agrémenté d’une centrale hydro électrique. Une séance de gymnastique des employés de l’usine, incrustée numériquement, vient perturber l’immobilité et le calme de ce plan séquence traité à la façon d’un portrait paysager. Avec “ Tignes ”(2005), l’artiste met en exergue les techniques de surveillance vidéo du territoire. Deux points de vues sont superposés : celui des cinq caméras de contrôle qui balayent le champ large des sommets neigeux du panorama et le point de vue rapproché sur l’une des caméras révélée par des gouttes de pluie qui altèrent l’objectif et brouillent l’image.
Ses reconstitutions-manipulations numériques de paysages relèvent davantage de la catégorie des natures mortes de la banalité plutôt que d’une mise en scène d’effets spéciaux. En mêlant des fragments filmés à des séquences numériques, l’artiste dépasse l’artifice en introduisant un effet d’hyper-réel.
Tout le sens de la démarche de cet artiste en effet consiste à interroger l’état de la représentation à l’ère du numérique, la place des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la sphère artistique, et un renouvellement possible de la narration et du récit.
Pascale Cassagnau
[1] «Le propre de la technologie électronique serait cependant la déréalisation où l’arrivée supplante le départ : tout arrive sans qu’il soit nécessaire de partir ». Bernard Stiegler, La technique et le temps, vol.1, Editions Galilée, Paris, 1996-2001)