Sans titre (Feijão), 1975
Bande vidéo 1/2 pouce NTSC diffusée sous forme de fichier numérique,
4/3, noir et blanc, son mono
Dans Sans titre (Haricots), deuxième vidéo réalisée par Sonia Andrade depuis 1974, l'artiste se filme elle-même en un plan-séquence fixe, prenant un repas traditionnel brésilien : un plat de haricots noirs accompagné de pain et d'un soda au guarana, sur une terrasse d'appartement. Elle fait face à la caméra et tourne le dos à un poste de télévision, où apparaît une série télévisée américaine (Tarzan, 1966-1968) suivie de spots publicitaires. Bientôt, ce repas ordinaire se mue en une scène régressive, alors que l'artiste plonge à pleines mains dans la marmite de nourriture et s'en couvre compulsivement le visage et le corps, avant de tourner ses gestes vers la caméra pour y propulser les aliments, jusqu'à l'occultation complète du champ. Une part des premiers travaux vidéo de Sonia Andrade, dont l'œuvre protéiforme utilise également d'autres techniques, traite du pouvoir d'intrusion et d'assujettissement de la télévision. Dans ce film, l'artiste ne regarde pas la caméra. L'espace intime du repas est entièrement maîtrisé par l'image télévisuelle : par la prise de vue d'un côté, captant une scène quotidienne, par l'image diffusée de l'autre, qui assène les valeurs de la société de consommation. Le spectateur lui-même est brutalisé, tout d'abord par la concurrence visuelle dont il fait l'expérience, entre l'action banale du repas et l'attrait de l'écran de télévision à l'arrière-plan, puis par le basculement hystérique de l'action, où domine la violence d'un geste d'effacement : effacement du sujet filmé, aveuglement du regard porté sur lui. Entrent également en résonance le propos colonial du divertissement télévisuel, et l'identité culturelle que l'artiste amène ici de manière appuyée, provoquant le regard ethnologique jusqu'au dérapage "barbare" de l'action.
Marcella Lista