Origin, 2008

Betacam numérique PAL, couleur, son


La vidéo s’ouvre sur un écran noir ; le spectateur entend seulement le son des pas qui s’approchent avec une allure militaire, puissante et uniforme. Mais lorsque l’écran s’éclaircit, la caméra placée très bas près du sol dévoile en gros plan les pieds d’un groupe d’hommes qui marche. Mais à la place des bottes militaires que la bande son laissait entendre au début de la vidéo, ils portent des baskets de toutes les couleurs. La caméra monte pour révéler davantage sur ce groupe insolite: loin de la sévérité militaire, ces hommes, tous d’origine africaine, sont vêtus de t-shirts, de shorts et de joggings dépareillés et colorés. Ils répètent avec un turc difficilement compréhensible: « Ne mutlu Türküm diyene ! (Heureux soit celui qui se dit turc !) » Origin met en évidence le conditionnement de l’individu par les instances normalisatrices de la société, questionne le kémalisme et le militarisme exacerbés qui règnent en Turquie depuis la fondation de la république. Il faut rappeler qu’entre 1960 et 1980, l’armée a organisé trois coups d’état pour le maintien du pays sous contrôle kémaliste et nationaliste. Özgen réalise Origin à Mataró, en Espagne où il se trouve en résidence d’artiste. Lors de son séjour, apercevant les immigrés clandestins qui erraient aux alentours de la ville, l’artiste décide de leur demander de participer à son projet ; ils apprennent par cœur la phrase à répéter sans en saisir la signification. L’artiste renvoie ainsi à la situation absurde dans laquelle se trouvait le peuple kurde en Turquie lorsque sa langue était interdite. La seule phrase de la vidéo qui glorifie l’identité nationale turque est une phrase connue d’Atatürk, répétée collectivement tous les matins par les écoliers à la fin de leur serment, qu’ils soient turcs, kurdes ou qu’ils appartiennent à une autre minorité. Mais scandée par la petite armée africaine, elle se trouve isolée de son contexte, presque incohérente, voire absurde à l’instar de l’idéologie qu’elle représente.




Yekhan Pinarligil