Les Illuminés, 2004

Betacam numérique PAL, 4/3, noir et blanc, son


La vidéo Les Illuminés date de 2004, année au cours de laquelle le port du voile et de la burqa dans les lieux publics faisait intensément débat en France. C'est dans le métro parisien, espace collectif et socialement mixte, que Halida Boughriet inscrit sa performance. Revêtue d'une burqa, elle parcourt le tapis roulant de la station Montparnasse. La force de la vidéo tient au placement de la caméra sous la burqa, derrière le grillage même qui permet à la femme de voir sans être vue. Une image très contrastée en noir et blanc, associée à un léger ralenti des mouvements et du son, oriente le regard vers ce que cette caméra subjective veut nous donner à voir : le regard de ceux qu'elle croise et le décalage culturel que ces regards indiquent. Cela conduit le spectateur à faire face, lui aussi, à ces regards sidérés – qui donnent son titre à la vidéo.


Halida Boughriet réussit à donner là, de manière inédite, une représentation "de l'intérieur" de la femme en burqa, alors même qu'elle n'est en général perçue que de l'extérieur, dans l'espace social ou dans sa représentation dans les médias.


Mais au-delà de l'instantanéité des réactions auxquelles on assiste, Les Illuminés interroge frontalement l'opposition qui peut exister entre deux cultures dans leur rapport au voile mais aussi au corps féminin. D'un côté, on expose les corps jusque dans les affiches des transports en commun ; de l'autre, on le cache aux regards en le recouvrant d'un voile noir. La burqa devient alors un symbole double et contradictoire. Elle représente dans ce contexte un enjeu différent pour chaque culture : érigée en symbole de l'oppression de la femme lors des débats en France, elle correspond pour certaines femmes qui la portent au respect d'une tradition.


Les Illuminés est aussi une mise en question de la liberté proclamée des citoyens au sein de l'espace public, liberté indiscutée en théorie, mais que Halida Boughriet confronte à une situation concrète et quotidienne.


Le dernier plan, le seul qui ne soit pas filmé en caméra subjective, livre la clef du dispositif en filmant la grande masse noire immobile sur laquelle les passants se sont retournés, souvent de façon appuyée. Contrastant avec la mobilité de la foule autour d'elle, la femme voilée prend alors une dimension sculpturale.


Louise Delbarre