Hicham Berrada amorce la série Présage en 2007. Ces performances filmées captent et projettent en temps réel les réactions chimiques opérées par l'artiste dans un bécher, suivant un dispositif de retransmission et d'agrandissement fréquent en science. Malgré leur apparence aléatoire, les Présages n'ont rien d'improvisé : chacun d'entre eux aura nécessité une centaine de tests préalables, répétés chaque fois dans des conditions similaires, où seul un paramètre varie. Les dates intégrées aux titres aident à leur inventaire : Présage 11-10-2013_7h36. Cette "banque de connaissances" participe au choix final des huit à dix substances qui formeront chacun des paysages aquatiques. Dès 2013, l'artiste les transpose parfois dans des cuves murales, petits tableaux dans l'épaisseur desquels se détachent des formations chimiques (Tranches, commencé en 2007).

Lâchés comme des météorites, saupoudrés comme de flocons de neige, les produits choisis par l'artiste forment en quelques minutes des filaments, des coraux, des stalagmites ou des ectoplasmes dont l'expansion, la suspension et la texture sont orchestrées avec précision. Ces visions, à la fois surréalistes et hyper-concrètes, rejoignent la sidération visuelle suscitée, au début du XXe siècle, par le cinéma scientifique et ses révolutions techniques. Le ralenti, l'accéléré, la microcinématographie ou la prise de vue sous-marine révélèrent des pans de la réalité jusqu'alors jamais vus [1]. Les films de Berrada héritent de l'éclairage latéral et du fond noir adoptés par Jean Comandon pour ses microcinématographies des années 1910, faisant de micro-organismes un "ciel constellé d'étoiles [2]". Les Présages jouent de cette confusion spatiale, leur échelle pourrait tout aussi bien être microscopique qu'astronomique.

Hélène Meisel, 2020

[1] BERNABEI Maria Ida, "Trois archives: films scientifiques et histoires de décontextualisation", Museologia & Interdisciplinaridade, Vol. 8, n°15, janvier-juillet 2019, p. 49-71.

[2] GASTOU, Paul, L'ultra-microscope dans le diagnostic clinique et les recherches de laboratoire, Paris, Baillière et Fils, 1910, p. 9.