Body Building in the Great Northwest, 1975 - 1993

Installation multimédia
2 projecteurs de diapositives, 40 diapositives noir et blanc, 27 diapositives couleur, 1 vidéoprojecteur, 1 moniteur,
2 bandes vidéo, NTSC, couleur, muet, 3’59’’, et couleur, son, 18’43’’
1 bande magnétique stéréo, 2’ (bou


Vu du béton et de l'asphalte du Lower Manhattan, le nord-ouest américain si lointain des années 1970 était encore un pays mythique peuplé de bûcherons et d'arbres surdimensionnés. Les séquoias et les bois rouges légendaires dressaient leurs centaines de mètres vers la stratosphère. L'Oregon, l'État de Washington, le Montana et autres états du nord-ouest n'étaient guère connus qu'à travers les livres de classe. Les enfants qui s'intéressaient aux cours d'histoire apprenaient que Jefferson avait concocté au début du XIXe siècle le Louisiana Purchase avec Napoléon dont les titres de propriété sur ces immensités qui couraient de la Louisiane à l'océan Pacifique étaient d'ailleurs discutés. Envoyés par Jefferson pour contrôler ce qui avait été acheté, les explorateurs Lewis et Clark et leurs équipiers s'embarquèrent dans une aventure qui allait durer plusieurs années. Leurs confrontations avec les élément hostiles et la mort sont documentées par des centaines de musées aux Etats-Unis. L'expédition Lewis et Clark est devenue une des illustrations classiques de l'esprit de ressource et de persévérance américain.

En dehors de son titre, Body Building in the Great Northwest, cette œuvre n'a rien à voir avec le travail du corps ou la nature sauvage du nord-ouest. Le corps travaillé par Acconci est le sien, qu'il s'efforce de rendre réel. Perdu et désemparé, enfermé dans un enfer orphéen de vérités indicibles, de mensonges et de peurs, sa bataille pour retrouver son humanité relève de la matière des mythes.

L'œuvre se déroule dans une petite pièce fermée. Les spectateurs se déplacent dans un paysage dénudé au sol poussiéreux parsemé de verre brisé. Deux projecteurs de diapositives projettent en surimpression quelques images banales sur ce décor horizontal. Certaines relèvent du domaine public – extraits de journaux, vues d'immeubles et de ponts - d'autres sont des instantanés d'objets photographiés à la maison comme une tasse, un oreiller ou une pierre-souvenir.

L'aspect ordinaire de ces objets n'est pas rassurant. Au contraire, comme dans un film d'horreur, ces instantanés de la vie quotidienne exagèrent le caractère idyllique de la vie normale et renforcent l'anxiété du spectateur. Les dieux aiment mettre la vertu à l'épreuve et le spectateur-participant sait que le pire peut se produire.

Le combat d'Acconci pour quitter cet enfer et retrouver son authenticité corporelle se déroule sur un moniteur posé à terre, écran dirigé vers le plafond. Ses tentatives pour s'échapper du tube cathodique sont futiles : "J'arrive, je sors de moi-même, vous ne croiriez jamais ce que j'ai vu là dessous!" Mais il n'y réussit jamais, bien sûr. Il arrive à peine à sortir la tête du tube, puis retombe en arrière. L'image est celle d'un poète qui  chancelle et s'effondre. Recoller les morceaux de son univers est le mieux qu'il puisse espérer.

Body Building in the Great Northwest a été l'un des derniers projets vidéo d'Acconci. Il approchait de la fin de la phase audiovisuelle de sa carrière. Ce qui avait débuté comme des actions simples mais personnelles et dérangeantes évoluèrent en œuvres d'art médiatique conçues pour interpeller et qui bénéficièrent d'une reconnaissance internationale. Malgré une audience favorable et des exposants qui demandaient toujours davantage de la même veine, la désillusion s'installa. Les nombreux glissements de la poésie vers l'action et vers la vidéo du début de sa carrière n'étaient pas simplement un sujet d'expérimentation. Ses débuts de provocateur médiatique semblent rétrospectivement mus par un idéalisme à la recherche d'un point d'appui stabilisateur. Il cherchait quelque chose de substantiel sur lequel pouvoir construire son œuvre. Pourquoi pas l'architecture? Et brusquement il se tourna vers ce médium.

Un de ses premiers projets dans ce domaine consista à restructurer la façade du Storefront for Art and Architecture, un lieu d'exposition new yorkais non commercial orienté vers l'architecture alternative. Il découpa de grands pans de murs selon des formes bizarres et les fit pivoter sur des poteaux verticaux. Une fois fermé, l'immeuble semblait présenter un mur normal, mais lorsque les parties découpées s'ouvraient toutes grandes, l'espace se projetait vers la rue ce qui rendait l'exposition accessible à tous les passants. Bien évidemment, le projet enfreignait la totalité des règlements de construction de la ville de New York.

Aujourd'hui âgé de 65 ans, Vito Acconci a suffisamment enduré pour que des artistes comme Paul McCarthy, Mike Kelley et Matthew Barney parlent de lui comme d'une influence. Serein devant cette reconnaissance ambigüe, il se satisfait d'être un iconoclaste sans autre prétention. Lui et son équipe d'architecture s'intéressent à tout ce qui se présente, de la conception d'une cuillère à celle d'une ville. "L'objectif de notre travail est produire un mix, un mix de cheminements possibles, un mix de cheminements alternatifs, de canaux alternatifs." L'expression de ses intentions n'est peut-être pas très claire, mais concrètement cela signifie qu'il conçoit actuellement une ligne de vêtements et qu'il a des plans pour le futur.


Barbara London

trad. Jacques Bosser