En 1977, à l'occasion de l'inauguration de la Documenta VI de Cassel, des performances de Nam June Paik, Joseph Beuys et Douglas Davis sont télédiffusées en direct dans plusieurs pays.

Nam June Paik reprend avec l'aide de Charlotte Moorman [1] certaines de ses performances les plus célèbres (notamment TV-Bra et TV-Bouddha) alors que Joseph Beuys s'adresse directement au spectateur, présentant face-caméra les grands principes de sa démarche artistique : conception élargie de l'art, développement d'un enseignement libre, promotion de la démocratie directe, etc.

Si Joseph Beuys et Nam June Paik se trouvent tous deux à Cassel lors de l'évènement, Douglas Davis émet quant à lui depuis Caracas. Le principe de sa performance, intitulée The Last Nine Minutes, est simple : l'artiste parie qu'il pourra localiser le spectateur, où qu'il soit dans le monde, en neuf minutes. Douglas Davis déambule quelque temps dans une pièce sombre, puis demande au spectateur de l'aider à le trouver en plaçant ses mains sur son téléviseur. Des mains apparaissent alors au premier plan, comme posées sur un second écran fictif. Elles frappent bruyamment contre celui-ci, indiquant à l'artiste de se rapprocher de la caméra. Douglas Davis  localise alors le spectateur, se rendant compte qu'il se trouve tout simplement … de l'autre côté de la caméra, derrière l'écran de son poste de télévision.

Profitant de la retransmission massive et en direct de leur intervention à la télévision, les trois artistes tentent, chacun à leur manière, de briser le "quatrième mur". Joseph Beuys y parvient en se réappropriant certains codes spécifiques au medium qu'il emploie : il s'adresse directement à l'ensemble du public sous la forme classique d'une allocution télévisée. Nam June Paik et Charlotte Moorman y parviendront quant à eux à deux reprises : sous la forme de clins d'œil à des connaissances qu'ils saluent en direct, ainsi que par le biais d'une mise en abyme, lorsque Nam June Paik, perçant une feuille de papier qu'il a auparavant placé sur la face d'un téléviseur éventré, crève littéralement un écran. A la fin de sa performance, Douglas Davis tentera également, avec humour, d'abolir physiquement la barrière de l'écran : après un compte à rebours, il se jette contre la caméra comme pour défoncer une porte. L'émission s'interrompt alors. 

Philippe Bettinelli

[1] Violoncelliste américaine, Charlotte Moorman collabore avec Nam June Paik sur de nombreuses actions. En 1963, elle fonde le "Annual Avant-garde Festival of New York" qui présente des actions et happenings de musique expérimentale, notamment du groupe Fluxus.