I Like America and America Likes Me, 1974

Film argentique 16 mm transféré et édité sur bande vidéo analogique VHS PAL
4/3, noir et blanc, son
38 min 28 s


C'est lors de son deuxième voyage aux Etats-Unis, du 23 au 25 mai 1974, que Joseph Beuys décide de mener à la galerie René Block de New-York l'action I Like America And America Likes Me. Si le principe de cette dernière semble extrêmement simple – cohabiter durant trois jours avec un coyote – sa portée symbolique ainsi que son déroulement précis le sont nettement moins.


Le coyote, animal sacré pour certaines populations amérindiennes, occupe dans l'imaginaire occidental le statut de vermine. Joseph Beuys affirme la nécessité de se réconcilier avec cet animal, et souhaite incarner par cette action la rencontre de l'homme moderne avec une spiritualité perdue. En rappelant l'importance que le coyote a pu avoir par le passé, il invite également les Etats-Unis à se confronter au massacre des populations natives d'Amérique du Nord. Joseph Beuys, qui avait refusé de fouler le sol américain pendant la guerre du Vietnam, semble étendre aux Etats-Unis une démarche qu'il avait jusqu'alors menée en Allemagne : tenter de soigner un peuple en lui faisant affronter les pages les plus sombres de son histoire.


Ne souhaitant voir des Etats-Unis que le coyote, Joseph Beuys se fait bander les yeux dans l'avion. A l'aéroport, il se fait envelopper de feutre et transporté dans une ambulance jusqu'à la galerie. Il quittera les lieux de la même manière. Durant la performance, Joseph Beuys répète épisodiquement un même cycle : il enfile une paire de gants, puis s'enroule dans du feutre pour une sorte de yourte improvisée, dont il ne laisse dépasser qu'une canne qu'il pointe tantôt vers le ciel, tantôt vers le coyote. L'artiste laisse ensuite choir la structure, et reste un temps au sol avant de s'extirper du feutre. Il frappe alors quelques coups sur un triangle, qui sont suivis de la diffusion sur un magnétoscope d'une vingtaine de secondes de chaos sonore. Enfin, Joseph Beuys jette ses gants au coyote, marquant l'accomplissement d'un cycle qui aura convoqué de nombreux éléments récurrents de l'imaginaire beuysien : recours au feutre comme matériau protecteur, idée de matérialiser un lien entre deux éléments opposés (par le biais de la canne, qui rappelle l'œuvre Le Bâton d'Eurasie), opposition de l'informe (l'enregistrement sonore) et du cristallin (les notes jouées au triangle), référence souterraine au chamanisme Tartare, etc. 


Les réactions du coyote, oscillant entre l'indifférence, la curiosité et l'agressivité, conditionnent le comportement de l'artiste et ponctuent le déroulement de l'action : il attaque le feutre qui protège l'artiste, urine sur les exemplaires du Wall Street Journal qui sont apportés dans la galerie, ou encore abandonne la paille qui lui est destinée pour lui préférer un espace, aménagé par Joseph Beuys, composé d'une torche recouverte de feutre. De cet échange résulte une œuvre au caractère hautement photogénique, dont l'importante documentation (que ce soit en vidéo par Helmut Wietz ou en photographie par Caroline Tisdall) est à l'origine de certaines des images les plus emblématiques de l'œuvre de Joseph Beuys. 


Philippe Bettinelli