Beached, 1970

D2, PAL, couleur, son


Célèbre internationalement pour ses textes sculpturaux dont les réalisations plastiques ne sont que de potentielles occurrences, Lawrence Weiner travaille depuis le début des années 1970 à la production d’un œuvre filmique et vidéographique relativement mal connu. En 1970, après avoir participé à de nombreuses expositions en Europe (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse) [1], l’artiste établit son studio à Amsterdam et partage son temps entre les Pays-Bas et New York. Plusieurs pièces de cette époque, dont BEACHED, sont ainsi inscrites dans ce contexte géographique, et notamment sur les rives de la mer du Nord. 



Ses premières œuvres vidéographiques sont conçues entre 1970 et 1971 en collaboration avec le galeriste et producteur allemand Gerry Schum [2] et sont diffusées à la télévision [3] avant d’être exposées dans la galerie de Schum à Cologne. Dans la lignée des précédentes interventions de Weiner en extérieur [4] seulement connues par des photographies, BEACHED [5] est l'enregistrement d’une action, d’un geste simple, effectué devant la caméra de cinq manières différentes et séparées par des noirs fondus. En jean et tee-shirt, il propose cinq possibilités pour extraire de la mer du Nord des morceaux de bois flottants et les laisser – échoués – sur ses rives accidentées. Il s’agit de sa deuxième œuvre vidéographique, réalisée juste après la première, TO THE SEA/ON THE SEA/FROM THE SEA/AT THE SEA/BORDERING THE SEA [6] en 1970, et avant BROKEN OFF [7] en 1971. Ces trois bandes constituent un ensemble d’œuvres présentant la même construction, l’enregistrement d’une action simple par l’artiste, complétée par la lecture, en voix off ou face caméra, d’un protocole. BEACHED est aussi, et surtout, une illustration possible de ce que pourrait être une œuvre d’art réalisée hors de la responsabilité, et donc du contrôle, de l’artiste. En montrant plusieurs variantes envisageables d’une action, au même niveau de validité artistique, il insiste sur l’idée que la réalisation est facultative, ou déclinable indéfiniment. Weiner qui contribua à la définition d’un art dit conceptuel à la fin des années 1960, circonscrit, à partir de 1968, sa conception radicale de l’œuvre d’art dans sa célèbre déclaration d’intention [8] qui rend la concrétisation matérielle optionnelle ; celle-ci existant avant tout dans le langage. Dans cette vidéo, s’incarne ainsi une forme aboutie de sa nouvelle définition du travail artistique, telle qu’il l’énonce au début de la bande : « [...] L’artiste peut construire une œuvre et/ou une œuvre peut être fabriquée et/ou une œuvre n’a pas besoin d’être construite. [...] J’ai choisi de construire cinq possibilités matérielles pour la vidéo. » [9] Si elle est dès lors une des premières concrétisations de sa nouvelle définition radicale des conditions d’existence de l’œuvre d’art, cette vidéo s’inscrit aussi dans un contexte artistique plus large, et vise à contredire les activités héroïques et machinistes du Land Art. Les gestes de Weiner, modestes, quotidiens, exécutés à mains nues contrastent en effet très fortement avec le gigantisme de ce qu’il nommera plus tard la « sculpture macho en métal lourd » [« heavy-metal macho sculpturehood »] [10]. L’artiste privilégie ainsi des moyens d’action simples, économiquement et écologiquement pauvres, mais riches de sens, qui mis sur un même niveau d’égalité sont tous subordonnés à la toute-puissance du langage.



Coline Davenne, 2021





[1] Et notamment Op losse schroeven/Square Pegs in Round Holes, 15 mars – 27 avril 1969, Stedelijk Museum, Amsterdam et When Attitudes Become Form, 22 mars 1969 – 27 avril 1969, Kunsthalle Berne, Suisse.

[2] Sa galerie-télévisuelle, la Fernsehgalerie, est active entre 1969-1970 sur différentes chaînes de télévision allemandes. Elle diffuse notammenon Land Art ainsi que des œuvres de Joseph Beuys, Daniel Buren, Hamish Fulton et Mario Merz.

[3] « Identifications », 2e exposition à la télévision, par la Fernsehgalerie de Gerry Schum, diffusée le 30 novembre 1970 sur la chaîne Südwestfunk T.V.

[4] Notamment THE RESIDUE OF A FLARE IGNITED UPON A BOUNDARY, 1968/1969 et A SHALLOW TRENCH DUG FROM HIGH WATER MARK TO LOW WATER MARK UPON A NORTH ATLANTIC BEACH, 1969.

[5] [Échoué].

[6] TO THE SEA/ON THE SEA/FROM THE SEA/AT THE SEA/BORDERING THE SEA, 1970, vidéo, noir et blanc, son, 0’50”.

[7] BROKEN OFF, 1971, vidéo, noir et blanc, son, 1’30”, AM 1996-472.

[8] « (1) The artist may construct the piece. (2) The piece may be fabricated. (3) The piece may not be built. [Each being equal and consistent with the intent of the artist, the decision as to condition rests with the receiver upon the occasion of receivership.]” Publié pour la première fois dans January 5 – 31, 1969, cat. exp., New York, Seth Siegelaub, 1969, n.p.

[9] « […] The artist may construct a work and/or a work may be fabricated and/or a work need not be built. […] I elected to construct five material possibilities for videotape. »

[10] Lawrence Weiner dans « Early Work, Interview by Lynn Gumpert », dans Lynda Benglis, Joan Brown, Luis Jimenez, Gary Stephan, Lawrence Weiner: Early Work, cat. exp., New York, The New Museum, 1982, repris dans Gerti Fietzek et Gregor Stemmrich (dir.), Having Been Said: Writings and Interviews of Lawrence Weiner, 1968–2003, Ostfildern-Ruit, Hantje Cantz, 2004, p. 122.