Delta. A Piece, 1966 - 1977
Betacam numérique PAL, noir et blanc, son
Delta. A Piece documente une performance de 1977 lors de l'exposition " Kunstlerinnen International 1877-1977 ", à Berlin. Une femme est assise, immobile comme une statue. Elle adopte une posture de l'attente : facteur de vacuité. Petit à petit, on identifie les traits de l'artiste : il s'agit bien de VALIE EXPORT.
Elle écrit au sol, à l'aide d'une craie blanche les mots : VIA MARITALIS.
Puis fait résonner avec une forme de poing modelé en plâtre la sonorité cristalline et aiguë d'un triangle – instrument de musique dont la forme renvoie directement à l'organe génital.
Un portrait photographique accroché au fond de la pièce fixe le spectateur.
Elle écrit WORT, le mot, la parole.
Puis ANTWORT, la réponse.
Puis VERANTWORTUNG, la responsabilité.
Et enfin :
DIE MACHT DER
OHNMACHTIGEN
IST DAS SCHWEIGN : la force des impuissants est de se taire.
VALIE EXPORT ne fait transparaître aucun sentiment : tel est le principe et la condition de son anonymat. L'imposture de son expression est l'un des motifs récurrents qu'emploie l'artiste ; elle répond à une forme d'éthique de la maîtrise. Au diktat de la représentation, VALIE EXPORT répond par le masque, elle recouvre son visage de noir – un visage qui fait la grève du sentiment. L'artiste inexprime. La seule résistance possible est le déni. Elle entoure son cou d'une structure en bois qui ressemble fortement à une guillotine puis procède à différentes gestuelles connotées : elle place le poing en plâtre sur son sexe, puis caresse le miroir avec sa main, la vraie.
À présent, dans une bassine d'eau, elle trempe ses mains pour se nettoyer le visage. La caméra est très proche d'elle et suit ses mouvements.
Le tableau noir est maintenant incliné, posé sur un support qui le surélève, elle le parcourt, pieds nus, de bas en haut et ses pieds effacent petit à petit les mots écrits auparavant à la craie blanche. Puis VALIE EXPORT se taillade les ongles – ou les doigts, avec une sorte de cutter. La manucure est sanguinaire, mais plus encore, insensible, l'artiste – comme frigide, accomplit sa tâche en vraie professionnelle, et demeure impavide. C'est un corps infirme qui s'exprime. Ici, la femme qu'elle est n'existe pas. J'exprime donc je suis, répète l'art occidental. VALIE EXPORT, tout au contraire, n'exprime rien, et le masque est la mesure de son aliénation, un visage qui défie les lois de la visagéité.
Lou Svahn