A la fin des années 1960, Imi Knoebel réalise une série d'œuvres intitulées Innenprojektionen [Projections intérieures], qui reposent sur le principe de projection lumineuse d'une forme simple dans un espace d'exposition : ces formes sont souvent des lignes droites, qui, projetées sur des surfaces non planes - un mur courbe, par exemple - se trouvent instantanément déformées.

Au début des années 1970, Imi Knoebel exporte ce principe de la galerie à l'espace urbain : la vidéo Projektion X - réalisée lors d'une déambulation nocturne dans la ville de Darmstadt - est l'une des seules traces de ces expériences extérieures. Le dispositif est simple : un projecteur diffusant un 'X' lumineux est attaché sur le toit d'une voiture, sur laquelle est également fixée un magnétoscope. En un plan séquence d'une quarantaine de minutes – durée qui correspond au trajet et à l'errance du véhicule dans les rues de Darmstadt – la caméra enregistre les résultats de la projection du 'X' dans les rues de la ville. Si le dispositif semble a priori particulièrement austère, les résultats sont moins monotones que l'on pourrait le croire. La croix lumineuse apparaît ou disparaît selon la distance des objets qu'elle rencontre, selon l'intensité des sources lumineuses annexes qu'elle croise au fil de l'aménagement urbain. Elle glisse, change de dimension, se dédouble en fonction des surfaces sur lesquelles elle est projetée : arbres, façades d'immeubles, percées urbaines. En opposant un motif géométrique parfait à la complexité du monde réel, Imi Knoebel se prête à un exercice de distorsion aux résultats aléatoires, et propose une vidéo dont "l'écran, et non l'image, changerait sans cesse" [1]. En donnant à voir un espace concret par le biais d'un motif géométrique abstrait, il se rapproche des préoccupations des artistes minimalistes américains, ainsi que des recherches sur l'espace qui, de Malevitch au constructivisme, ont jalonné l'histoire de l'abstraction géométrique.

Philippe Bettinelli

[1] Marc Noushi, "Les défis d'un projet", Imi Knoebel, vitraux de la cathédrale de Reims, collectif, Bielefeld, Kerber Verlag, 2011, p. 10.