The Damnation of Faust: Evocation, 1983
1 Pouce NTSC, 4/3, couleur, son
Dara Birnbaum fait ici le portrait d'une adolescente confrontant son monde intérieur à la réalité, en développant un traitement spécifique à la technique vidéo. Dans un cadre typiquement new yorkais, de jeunes enfants sont filmés dans les aires de jeux grillagées de la ville. Balançoires, baskets, jeux en groupes, ils évoluent sur leur terrain, loin du regard des adultes. Puis, la tranche d'âge change, la caméra se tourne vers des adolescents avec ce même rapport au groupe, et à l'insouciance. Le film revient plusieurs fois sur une jeune fille en train de lire, seule, à un coin de rue. Montrée à part, sur la musique plus sombre de Sonic Youth, elle observe en retrait.
Dara Birnbaum crée un jeu visuel avec le motif du grillage. Omniprésent dans ces espaces publics, cette limite crée une frontière entre les groupes, soulignant un cloisonnement social. En alternant des effets de fondus et des focales différentes, l'artiste modifie le rapport entre intérieur et extérieur : des enfants aperçus derrière le grillage se retrouvent, par la suite, en premier plan, marquant cette idée d'appartenance ou non, d'inclusion ou d'exclusion, d'intimité ou sociabilité. Ces effets renforcent l'isolement de cette jeune fille. Son regard nostalgique et distant peut se voir aussi bien comme une rupture avec son enfance, à la fois lointaine et proche, que comme un sentiment contradictoire de désir d'appartenance et de retrait. Dans le dernier plan, l'adolescente est en pleine nature, derrière un grillage de joncs. L'allégorie de liberté du plein air est ambiguë grâce à la superposition de la trame de la grille en métal, et la façon de filmer les joncs qui semblent recréer un grillage. L'évocation de la damnation de Faust invite à une lecture de la dualité entre la richesse d'un monde intérieur et le désir d'une vie sociale, caractéristique du passage de l'enfance à l'adolescence. Cette jeune femme lit, à la différence des enfants qui jouent, cette connaissance l'isole mais la mène à un statut particulier, tout comme Faust, qui par le savoir, devient un homme puissant mais maudit. Cette œuvre fait partie d'une trilogie qui explore tout d'abord le personnage de Faust au féminin puis dans le second volet, Birnbaum s'intéresse à Marguerite, la malheureuse amoureuse de Faust, quant au dernier volet, il décrit la ville comme le lieu de la perte d'identité.
"Je crois que ce travail est sur l'identité et l'individualité. (…) J'ai essayé avec La damnation de Faust de voir ce qu'on pouvait faire avec des enfants dans une aire de jeux de New York. Je ne voulais pas être un spectateur ni un réalisateur, je voulais aller à l'essence de ce que je voyais dans leurs activités. Leurs activités étaient les derniers restes d'une tentative d'établir leurs identités dans un quartier qui se gentrifiait et se restructurait de façon brutale." ["I think the work is about identity and the individual voice(….) I tried with Damnation of Faust to see what could be said when dealing with children in a New York City playground. I did not want to be either a spectator or a director. I wanted to get at the essence of what I was seeing in their activities. Their activities became the last remnants of an attempt to establish their identities in a neighbourhood that was being heavily gentrified and restructured."] [1]
[1] in Dara Birnbaum Video Art (1995), interview par Errki Huhtamo, livret d' exposition (Norrtälje Konsthall, Suéde, mars 1995).
Patricia Maincent