Dans Water : Standard Version from the Cihai Dictionary, l’écran de télévision cadre un visage isolé, celui de Xing Zhibing, une célèbre présentatrice du journal télévisé de la chaîne nationale CCTV dans les années 1980 et 1990. Mais au lieu de donner les nouvelles, elle a reçu l’instruction par l’artiste de lire impassiblement, pendant près de dix minutes, toutes les entrées du dictionnaire qui commencent par le caractère shui (eau). La neutralité du visage et du ton de la voix s’adressant directement à la caméra avec un impeccable professionnalisme, se détachent sur un fond uni de couleur bleue ordinairement utilisé par ce média de grande audience. Water est la première œuvre audiovisuelle où Zhang Peili utilise le langage des médias de masse pour servir son propos artistique.

Deux vidéos à canal unique précèdent Water. Dans 30 x 30 (1988), considérée comme l’une des toutes premières vidéos d’artistes produites en Chine, on voit les mains de Zhang Peili faire tomber un miroir, puis en recoller patiemment ses nombreux morceaux avant de le briser à nouveau. Document on Hygiene n°3 (1991) montre à nouveau ses gestes en plan rapproché, savonnant un poulet vivant dans une bassine pendant près de 25 minutes, en écho aux campagnes nationales pour l’hygiène. Ce sont là de véritables performances, comme celle de la journaliste Xing Zhibing, qui viennent occuper le temps de l’image et commenter le régime de l’attention que réclament les médias à l’échelle de la nation. L’eau, de même, s’écoule irrépressiblement. Au lendemain des événements de 1989 à Pékin, dont aucune mention n’a été faite à la télévision nationale, l’eau évoque une énergie qui circule, en dépit de tout. Dès les années 1990, Zhang Peili réalise de nombreuses installations sonores et vidéo, tout en poursuivant une œuvre picturale où la rigueur d’aplats de couleurs pures accueille des icônes ambivalentes d’athlètes et d’engins militaires. Son regard sur la société contemporaine met à distance le spectaculaire, il construit un détachement fécond, empreint d’une subtile pensée critique.

Marcella Lista, juin 2024