Uncertain pleasure (Les maladies superficielles), 1996
Betacam SP, silencieux, couleur
Ce que j’essaie de faire, c’est « enregistrer » ou « restaurer » un certain type d’intuition plutôt que de symboliser ou de métaphoriser un « sujet ». Ce qui m’intéresse, c'est l’expérience publique de l’action de se gratter lorsqu’on a une démangeaison. Le sens public n’a pas besoin d'être expliqué. Il provoque un mélange de différences raciales, sexuelles et culturelles et offre ainsi des possibilités de communication et d’échange entre les personnes.
Je crois profondément qu’il existe une universalité profonde dans la nature humaine. Cette universalité provient des besoins, des sensations et des réactions fondamentaux de l’être humain. Elle est perpétuelle. C’est sur ce point que repose la signification de l’art aujourd'hui.
— Zhang Peili [1]
L’intérêt croissant pour l’art vidéo en Chine dans les années 1990 a culminé avec l’exposition « Image and Phenomena » (1996), première grande exposition consacrée exclusivement aux nouveaux médias dans ce pays. Organisée par Qiu Zhijie et Wu Meichun, l’exposition s’est tenue dans une ancienne salle de réunion réaménagée de l’Académie chinoise des arts d’Hangzhou, avec la volonté de reconnaître et de légitimer le potentiel artistique de la vidéo en tant que moyen d’expression créatif. Compte tenu des restrictions imposées aux espaces d’exposition soutenus par l’État qui rejetait souvent les pratiques artistiques non conventionnelles, les expositions underground telles que « Image and Phenomena » ont permis aux artistes utilisant le médium vidéo de présenter leurs œuvres. Bien que ces expositions n’aient touché qu’un public limité, composé principalement des artistes et de leurs proches, elles ont constitué un espace essentiel d’échange entre artistes partageant les mêmes idées et ont repoussé les limites des pratiques artistiques contemporaines en Chine.
C’est dans ce contexte que Zhang Peili a présenté pour la première fois son installation vidéo Uncertain Pleasure (Les maladies superficielles) (1996), composée de seize canaux vidéo de 30 minutes montrant en gros plan les mains d’une personne grattant différentes parties de son corps. Constituée d’un ensemble de moniteurs disposés au sol, l’installation capture cet acte répétitif et intime sous plusieurs angles, plongeant les spectateurs dans une expérience focalisée. Cette immersion sensorielle suscite une réponse empathique, incitant les spectateurs à ressentir eux-mêmes cette démangeaison. Dans le même temps, elle suscite également un certain malaise. Invoquant les thèmes du voyeurisme et de la surveillance, elle transforme un acte privé en spectacle public.
Uncertain Pleasure marque un moment de transition dans l’expérimentation de Zhang avec le médium vidéo, passant de la réalisation d’œuvres à canal unique à celle d’installations multicanales, dans une quête permanente d’innovation et de critique des tendances contemporaines. Dans ses premières œuvres monocanales, Zhang évoquait la monotonie et l’ennui en se concentrant sur des actions telles que briser un miroir pour le reconstituer ensuite en recollant un à un ses éclats (30×30, 1988) ou sur des tâches longues et fastidieuses comme laver un poulet (Document on Hygiene n°3, 1991). Ces œuvres poussaient les spectateurs à se confronter au passage du temps, remettant en question la fonction divertissante de la télévision. Dans Uncertain Pleasure, Zhang met à nouveau en scène des actions longues et répétitives, tout en élargissant la portée de son langage artistique par l’installation à multiples canaux.
La disposition des écrans perturbe le visionnage conventionnel. L’ensemble est fragmenté en parties isolées, chaque écran montrant une partie différente du corps gratté, ce qui crée un sentiment de confusion et d’incertitude. Cette expérience visuelle dans lequel le corréorganisé, oblige les spectateurs à affronter les aspects inconnus et dérangeants de leur perception. En utilisant des écrans de moniteurs libérés de leur châssis et en les exposant comme des corps nus, l’artiste établit dans son installation un lien primitif avec les sensations physiques représentées à l’écran. Ancrée dans l’universalité de la perception humaine, cette expérience visuelle accentue l’inconfort physique du public par la longue durée des séquences et par la répétition des actions, intensifiant simultanément l’immédiateté et la familiarité de la sensation de grattage. En utilisant l’action de se gratter comme métaphore d’états physiologiques et psychologiques, Zhang explore avec Uncertain Pleasure certaines des expériences humaines universelles. L’œuvre offre une réflexion plus profonde sur la façon dont les sensations inconfortables et durables résonnent à travers le temps et dans différents contextes publics.
Amy Wang
Août 2024
[1] What I try to do is to “record” or “restore” a certain kind of intuition rather than symbolizing or making metaphor of some “subject.” What I am interested in is the public experience of the action of scratching an itch. The public sense does not need to be explained. It causes a mixture of racial, sexual and cultural differences and provides hence possibilities for communication and exchange between people.
I believe deeply that there is a profound universality in the nature of man. This universality comes from man’s basic needs, sensations and reactions. It’s perpetual. It is based on this point that art is still meaningful today.