Video Letters, 1982 - 1983

2 U-matic, NTSC, couleur, son


Video Letters met en place une correspondance vidéo entre Shuji Terayama et Shuntaro Tanikawa. Comme au fil de pages, les épisodes d'une histoire commune s'esquissent et forment un authentique échange vidéo, au sein duquel se combinent capacité d'anticipation (le motif du fil rouge qui traverse et envahit le cadre en est une manifestation récurrente), et puissance poétique d'un monde dépouillé (le bruissement des feuilles, ou encore, les personnages qui se "dissolvent" dans l'espace).



Poètes, Shuji Terayama et Shuntaro Tanikawa deviennent avec Video Letters ce que l'on pourrait appeler des "collectionneurs du fragmentaire". En glanant de-ci de-là la saveur des mots, puis leur sens, leurs images relèvent de la désignation, de la notation, et peuvent faire écho aux "fuites d'interlocution" empruntées à Roland Barthes.



Il y a, dans Video Letters, une dramaturgie, dont les premiers acteurs sont la dynamique et la statique, mais aussi un sens de l'espace et de la fluidité de chaque chose. Les détails se fondent dans une atmosphère évanescente, pénétrant êtres et objets. Ainsi, l'homme se livre par ce qu'il jette au sol : bibelots personnels, livre, vêtements, médicaments, nourriture…, ou par ce qu'il "réédifie" ; bouts éparses de photographies déchirées aplanis côte à côte.



La caméra permet une réelle correspondance visuelle, à la manière de cartes postales clairement adressées ("From Terayama to Tanikawa" et "From Tanikawa to Terayama"), qui amorcent en quelque sorte une nouvelle modalité de la fiction.



Mais ce sont également à deux autoportraits que nous confrontent les deux épistoliers. Entre présence figurée et rappel de l'absence, les visages qui apparaissent à l'image, par la fascination du regard qui s'y pose, se transforment en visions. La photographie et les bandes vidéos fournissent, sur le mode de "l'avoir été là", la preuve que du réel est advenu, qu'il est reconnaissable. Mais de quel réel s'agit-il ? Nous sommes, écrivait Jean Borreil, comme d'" impossibles sujets qui ne ressemblent jamais à nos photographies, nous ne savons pas quels sont nos traits [1]" : "- Est-ce moi ? Non, c'est juste une photographie. - Et cette voix qui parle, est-ce moi ? Non. Je n'existe même plus [2]".



Les motifs du vacillement de l'identité (les papiers d'identité éparpillés sur le sol) et de la défiguration (la "face-paysage" de Shuntaro Tanikawa s'exerçant, face-caméra, à toutes sortes de grimaces et déformations) renvoient à l'idée d'un portrait presque spectral, à l'infigurable par excellence. Dès lors, la vidéo devient comme un masque, ou plutôt comme le double du mort à jamais délégué dans le monde des vivants. Il y a, dans Video Letters, quelque chose de l'ordre de la persistance du portrait.



Ces lettres sont, à leur façon, autant de témoignages sur la situation de l'individu, sa fragilité, mais aussi sur la force qu'il constitue au moment de son déclin (Shuji Terayama meurt le 4 mai 1983).




Lou Svahn




[1] Borreil Jean, La Raison nomade, Éditions Payot : Paris, France, 1993, p.9


[2] Video Letters, 1982-1983.