En quittant le Liban, Mona Hatoum a laissé derrière elle sa famille palestinienne, et en particulier sa mère. Measures of Distance relit la douleur de cette rupture.

Derrière une surface quadrillée par des mots écrits en arabe, des formes abstraites se dessinent. Ce voile, cette paroi opaque posée comme un deuxième écran entre notre regard et l'image, est la matière même d'une lettre de la mère à l'artiste. Une lettre d'amour déchirée par la distance qui enferme l'image dans un espace clos, carcéral. Elle raconte le doute et l'espoir, la vie réelle et quotidienne, la guerre, les images perdues d'une vie partagée. Le lien impossible est retenu, fixé par des photographies qui se superposent à la surface grillagée, et font naître un autre mouvement de la mémoire, révèlent progressivement, et par fragments, le corps mis à nu de la mère. Car, si la photographie est bien la trace de ce qui a été, un objet capable de restituer l'instant passé, dévasté, l'image vidéo peut, quant à elle, refondre cette réalité dans un autre temps et un autre espace, dans l'entre-deux, un mouvement de vie imaginaire.

Mona Hatoum construit une stratification des niveaux de lecture et de représentation, une esthétique ambivalente qui inclut à la fois la distance et la proximité. La membrane épistolaire fait office de troisième corps, de lieu d'intersection, et matérialise en même temps les frontières qui écartent le regard de l'artiste et tout ce qui la rattache à ses origines.

Stéphanie Moisdon