Schizoframes, 2003
Installation mixte
3 projecteurs vidéo, 2 mutiplexeurs vidéo et audio, 6 amplificateurs, 12 haut-parleurs, 1 sofa, mousse polyuréthane, 1 vidéo, 4/3, noir et blanc, son stéréo,
Des spectateurs étendus sur un grand sofa blanc, voilà notre première vision à l’entrée dans la salle qui abrite l’œuvre Schizoframes de l’artiste français Céleste Boursier-Mougenot. À voir leurs corps abandonnés et leurs mines apaisées, l’envie de les rejoindre et de contempler ce qui se joue sur le mur d’en face se fait sentir. Une fois installé sur cette grande dune, le spectateur ressent d’étranges vibrations dans le corps, qui ont l’air de résonner de concert, avec le balai de formes abstraites à tendance psychédélique, de la triple projection. Est-ce que l’artiste tente de nous renvoyer dans les années 60 ? S’amuserait-t-il à réactiver les œuvres synesthésiques de la Monte Young ?
Céleste Boursier-Mougenot est musicien de formation, il a débuté sa carrière au théâtre, il fut le compositeur de la compagnie « Side One Posthume Theatre » du chorégraphe et metteur en scène Pascal Rambert. Depuis 1994, il développe dans le champ des arts plastiques ses propres expérimentations sonores au travers d’installations complexes. Ce n’est pas pour autant qu’il a perdu son sens de la dramaturgie, dans chacune de ses installations, l’artiste développe un goût pour la mise en scène et réfléchit aux moyens de faire demeurer le visiteur en elles ? Ils disposent des indices. Toutes sont intégratives ; et dans bon nombre, la chaise ou le sofa est un élément central qui invite à prendre possession du lieu, à s’installer à son gré et ainsi s’ouvrir à la proposition perceptuelle et sensorielle. Il raffole des potentialités étendues des nouveaux médias et revisite certains de ses protocoles phares, comme l’installation en circuit fermé, l’effet larsen ou le principe du feed-back. « Schizoframes » est le titre générique d’une série d’installations audiovisuelles commencée en 2003 qui explore les ressources du feed-back vidéo. Ici, les images projetées en pleine lumière sont générées par ce processus à l’origine de l’art vidéo, une caméra placée face à un moniteur en veille restitue les images filmées par cette dite caméra. Des signes abstraits et hypnotisant apparaissent, mutent et s’anamorphosent à l’infini, à diverses cadences. Quant à la musique - à la forte charge zen, vrombissante et cristalline - qui accompagne la vie et l’évanouissement de ces formes, elle est obtenue par la transduction des images en fréquences sonores. Le signal vidéo est converti en signal audio et traité pour générer les pulsations infra-graves diffusées par les haut-parleurs intégrés dans le sofa. Le système est un tout, chaque manifestation est la traduction d’une autre. Les œuvres de cet artiste ont toutes ce point commun : Ce qui est à voir est aussi ce qui élabore la musique.
Schizoframes est l’héritière des expérimentations de la Monte Young, en ce sens qu’elle ne peut être réduite à son dispositif, ni au son qu’elle engendre ou qu’elle enregistre. L’œuvre existe en tant que phénomène, tel un organisme vivant qui s’auto régénère, sujette au hasard ; dépendante de l’expérimentateur qui s’y love et s’y projette, qui révèle sa naissance et conditionne son présent.
Florence Parot