Mother tongue, 2002
3 écrans plasma, 27", 3 casques audio
3 bandes vidéo, PAL, couleur, son, (français, anglais, arabe)
Mother Tongue se compose d'un triptyque vidéo dans lequel Zineb Sedira interroge les relations entre elle-même, sa mère et sa fille, en introduisant les paramètres du langage comme formes premières de la communication. Filmés de façon épurée, les personnages se détachent sur un fond neutre, dans de courtes scènes où l'artiste avec sa mère, puis avec sa fille, et, enfin, sa mère et sa fille se retrouvent en duo pour échanger très simplement quelques paroles évoquant sur le ton d'une conversation quotidienne des souvenirs d'enfance. Dans la première vidéo, intitulée Mother and I (France), Zineb Sedira interroge sa mère sur son passé. Elle la questionne en français et sa mère lui répond en arabe. Les questions posées par Zineb Sedira concernent une époque pas si lointaine, qui pourtant semble s'être éloignée de sa mémoire. Le spectateur qui ne connaît pas l'arabe ne comprend pas les réponses. L'enchaînement du dialogue permet néanmoins de deviner, paradoxalement, ce que la mère répond en arabe. Dans la seconde vidéo, Daughter and I (England), Zineb Sedira continue de parler le français, tandis que sa fille l'interroge en anglais. Ses questions reprennent celles que Zineb posait à sa propre mère. L'artiste raconte sa vie à l'école et hors de l'école. Le dialogue en français et en anglais semble étrangement plus difficile que celui en français et en arabe. On sait que Zineb Sedira comprend ce que sa fille lui demande, puisqu'elle lui répond, mais le spectateur peut douter que celle-ci saisisse ce qui lui est dit. La troisième vidéo, Grandmother and Granddaugther (Algeria), présente la grand-mère, à droite, et la petite-fille, à gauche. La vieille dame commence à l'interroger en arabe ; la fillette ne répond pas, elle regarde vers le bas. Pendant quelques instants, le dialogue flotte, inexistant, l'enfant ne répondant à aucune question. La grand-mère sourit, révélant une grande solitude. On saisit alors la justesse avec laquelle Zineb Sedira analyse les relations déterminées par le langage. La grand-mère continue de sourire, mais des moments d'absence fréquents se peignent sur les deux visages. Le silence n'en est que plus audible. Les questions restant sans réponse, le passé de la grand-mère apparaît comme le plus lointain, le plus inaccessible. La distance historique éloigne aussi le sens de la langue et fait remonter l'arabe à ses origines ancestrales : celles qui existaient bien avant que la grand-mère ne parte pour la France, bien avant le retour vers le pays, et bien avant la rencontre avec sa petite-fille en Algérie. Avec rigueur et simplicité, Zineb Sedira présente le croisement des cultures auxquelles elle appartient et qui sont à l'origine de son identité multiple. La mémoire de la langue maternelle devient, dans le travail de l'artiste, une traduction à créer, un espace à reconstruire et une temporalité à vivre au présent.
Elvan Zabunyan