Lasso, 2000

Installation audiovisuelle, film 35 mm transféré par l’artiste sur bande vidéo analogique SP PAL, diffusée sous forme de fichier numérique,
4/3, couleur, son stéréo,
3 min 49 s


Lasso, film 35 mm transféré sur vidéo, son, 3 min 48 sec, 2000.



Lasso (2000) est la première production d'une série de trois installations vidéo réalisées par Salla Tykkä. Il sera suivi de Thriller en 2001 et de Cave en 2003. Dans cette trilogie, l'artiste cherche à explorer le passage de l'adolescence à l'âge adulte sous la forme de courtes narrations de quelques minutes autour du personnage d'une jeune fille à différentes étapes de sa vie (adolescente dans Thriller, jeune femme dans Lasso, adulte dans Cave).



Lasso, comme les deux autres parties de cette trilogie, est la mise en image et en émotions d'une non-rencontre. Une jeune fille revient d'un jogging et se dirige vers une maison moderne, dans la banlieue aisée d'Helsinki. Elle sonne à la porte, mais personne ne vient lui ouvrir. Elle contourne la maison et s'approche d'une grande baie vitrée pour regarder à l'intérieur. Elle ne voit d'abord que son reflet dans la vitre, puis, entre les lames des stores, apparaît un jeune garçon, pieds et torse nus, uniquement vêtu d'un jean qui s'exerce au lasso dans le salon.


La musique gagne alors en amplitude et l'on voit le jeune garçon faire tournoyer son lasso au ralenti, bercé par le son de la corde fouettant l'air. La jeune fille l'observe pendant plusieurs minutes, lui ne la voit pas. Cette observation intense, pleine de tension et d'émotion, prend soudain fin, lorsque le garçon fait claquer son lasso sur le sol avec un bruit sec. La jeune fille a un moment de recul, le visage mouillé, de sueur ou de larmes, laissant la marque de son souffle sur la vitre. La caméra s'éloigne alors de la protagoniste, dans un mouvement panoramique qui se termine sur ce qu'il reste d'un amas de neige dans la pelouse.



Ces deux personnages ne se rencontreront jamais. Selon les mots de Salla Tykkä, "l'histoire parle des relations entre ces personnes, entre leurs mondes. C'est aussi une manière d'essayer de décrire les différences entre la réalité et le monde imaginaire que nous construisons pour nous protéger" [1]. Si la jeune fille a le pouvoir d'observer la scène, elle n'a pas celui d'y participer ou de la comprendre entièrement. L'impossibilité de communication entre la fille et le garçon, matérialisée par la fenêtre, symbole récurrent chez Salla Tykkä [2], est complète: elle est dehors, il est dedans; elle le voit, il ne la voit pas; elle semble fascinée par ce qu'il fait, lui est entièrement replié sur lui-même, concentré sur ses gestes, enfermé dans son monde. Mais l'atmosphère du film n'en est pas pour autant oppressante: la vision proprement hypnotisante de la danse ralentie de ce lasso et la musique envoûtante provoquent chez le spectateur une vive émotion.



La musique du film, le titre d'Ennio Morricone qui fait l'ouverture du "western spaghetti" de Sergio Leone, Once upon a time in the West (Il était une fois dans l'Ouest), est à la fois poignante et kitsch, faisant pendant au caractère profondément intime et émotionnel de l'œuvre.



La jeune fille qui observe cette scène est un substitut du spectateur dont le regard est également à la fois voyeur et fasciné. Ce regard frontal de la jeune fille et du spectateur établit le lieu observé en champ de spectacle, la vitre créant une séparation entre deux niveaux de réalité différents.



En l'absence de mots, le sens se crée uniquement à partir des images et du son, laissant à l'implicite et au non-dit une part non négligeable. Le visiteur n'appréhende pas l'œuvre sur un mode réflexif, mais bien émotionnel. L'attente créée par cette situation ne sera jamais comblée, seule la tache de neige suivie d'un écran blanc offre un espace vierge au spectateur pour projeter ses désirs.



L'utilisation des codes cinématographiques d'un genre populaire et le retournement de ses valeurs (dans le western, comme dans la soale en général, c'est l'homme qui porte un regard empreint de voyeurisme sur le corps de la femme) donnent une très grande force à l'œuvre de Salla Tykkä qui parvient ainsi à retourner les schémas traditionnels et à construire un discours féministe [3].



Emilie Benoit




[1] "The story tells about the relationship between these persons, their worlds. It is also an attempt to describe differences between reality and the imaginary world we are building to protect us."

[2] Dans Thriller, la fenêtre joue un rôle capital, ainsi que dans la série photographique Pain, Pleasure, Guilt.

[3] "I am a feminist and that is part of my working process. I have been looking at female roles in different film genres. It is interesting to understand how these social and political structures are deeply built in our consciousness and how much people remember things they have seen or heard. In my work I try to change the roles and traditional ways of seeing and hearing." ("Je suis féministe et cela fait partie de ma méthode de travail. J'ai observé les rôles féminins dans différents genres de films. Il est intéressant de comprendre comment ces structures sociales et politiques sont profondément ancrées dans notre conscience et combien les gens se souviennent des choses qu'ils ont vues ou entendues. Dans mon œuvre, j'essaie de changer les rôles et les manières traditionnelles de  voir et d'entendre."), Salla Tykkä, in Boiler, mars 2002.



Sur le discours féministe de Salla Tykkä, lire aussi l'article de Bernhard Fibicher dans le catalogue Salla Tykkä, Kunsthalle Bern / BAWAG Foundation Wien, 2002, publié à l'occasion des expositions consacrées à Salla Tykkä à Berne et Vienne en 2002.