Blood Sea, 2004
4 vidéoprojecteurs, 1 synchroniseur, 4 haut-parleurs,
4 bandes vidéo, HD, 16/9, couleur, son stéréo, 13’48’’
Déployées sur quatre grands écrans, des formes étranges et oniriques flottent dans l'espace, transformant la galerie en un aquarium où le spectateur rejoint ces naïades qui évoluent dans l'eau. Formes hybrides subaquatiques, enveloppées de matières fluides blanches et rosées, leurs contours se métamorphosent sans cesse, créant des rythmes qui emportent le regard et les sens du spectateur. L'œuvre fait appel à une semi conscience propre au domaine cognitif. Elle joue sur l'infra-sens et ramène à la surface de la sensibilité des souvenirs immémoriaux d'avant la naissance et d'avant l'apparition de l'homme sur Terre. Le règne aquatique prédomine dans l'inconscient ballotté par ses humeurs, fragments de l'imaginaire qui le mène du rêve à la réalité et inversement. Janaïna Tschäpe est brésilienne. Son univers rappelle la prolifération du baroque dans ce pays. Arabesques, circonvolutions, abondance des rythmes, récurrence des figures extatiques, le baroque cultive un esprit que semble suggérer les figures marines et flottantes de Tschäpe. Le mot est en fait d'origine portugaise, contraction de langues millénaires, et évoque les contours irréguliers et iridescents d'une perle. Les naïades vidéographiques flottent dans l'eau, à la dérive, dans un état de non-être. Elles expérimentent un état de liberté telle, que cela s'apparente à l'extase. Abandon de soi dans un cosmos universel. La vidéo, sous forme d'installation, invite à ce type d'onirisme, ouvert à d'autres formes de raisonnement que ceux que nous livre la pensée occidentale cartésienne. S'abandonner au temps, qui n'est plus un temps compté, mesuré, calculé, mais un temps flottant, imprévisible et ouvert sur de nouveaux horizons, en constante fluctuation, semble être le propos de Tschäpe quand elle met en scène ces femmes. Plus précisément, cette œuvre se réfère au culte afro-brésilien du candomblé, caractérisé par la relation privilégiée avec une divinité, l'Orixa, qui protège, mais peut aussi posséder dans la transe. Elle invite le spectateur à une cérémonie cultuelle en l'immergeant dans les quatre projections et sources sonores multiples. L'eau devient le principal moteur de l'énergie qui guide le mouvement, l'exploration de territoires corporels et physiques. Elle inverse notre rapport au monde, guidé par la gravité, pour permettre une mise en suspension du corps, qui évoque celle du sens, trop souvent surdéterminé.
Chantal Pontbriand