Peggy and Fred in Hell: The Prologue, 1989

Betacam SP, PAL, couleur, son (monter/sampler)


Qualifié de « projet d’une vie » par l’artiste elle-même, Peggy and Fred in Hell, démarré en 1984, n’a pas d’état définitif. En 2007, la série est constituée de plus de seize épisodes sans ordre préétabli, montrée sous forme de projection ou d’installation, avec un incessant remaniement des images, des séquences et de leur présentation. Nous évoquerons ici la version acquise par le Centre en 1989, mais bien sûr, les autres propositions sont proches aussi bien dans la forme que le fond. Dans une ère post-apocalyptique, deux jeunes enfants jouent dans un monde sans adulte. Si l’époque et le drame qui a précédé ne sont jamais clairement définis, des traces de la culture de la fin du 20ème siècle sont présentes, créant une fiction que l’on peut qualifier d’anticipation, soit dans un futur proche ou hypothétique. L’alternance de plans dans des intérieurs entièrement clos, avec des éclairages artificiels très contrastés et des scènes dans des paysages désertiques, enlève tout repère d’époque, de lieu, et entretient cette confusion. Sur un air d’opéra de Haendel mixé avec la voix suraigüe de la chanteuse pop Yma Sumac, un gros plan montre des cordes vocales qui se tendent. Placé en préambule de cette version d’une heure de Peggy and Fred in Hell, ce document scientifique est presque méconnaissable et semble présenter un sexe de femme, peut être sous l’influence des voix féminines entendues. La question du genre, qui traverse l’œuvre de Thornton, est abordée, ici, de façon humoristique avec un autre extrait de film scientifique, qui propose, des questionnaires avec réponses à choix multiple afin de décider qu’elle est le ton de voix d’hommes ou de femmes que les gens préfèrent entendre. Ce document propose un système social patriarcal bien défini, car, bien sûr, l’analyse finale de cet exposé scientifique ne laisse pas de place à l’indétermination sexuelle. Le montage critique subtilement le sérieux du documentaire. Peu après, Peggy, la jeune héroïne, chante Billie Jean de Michael Jackson a capella. Dans la bouche de cette fillette, les paroles, évoquant une femme qui interpelle le chanteur pour lui dire qu’il est le père de son enfant deviennent dénuées de sens, à l’image de cette culture pop que la jeunesse s’approprie sans compréhension. L’absence de lien visuel entre Peggy et la caméra, alors qu’elle chante de sa voix fluette, donne beaucoup de fragilité à sa présence et contribue au solipsisme du personnage. En effet, tout au long du film, ces jeunes enfants semblent parler en eux-mêmes sans lien ni entre eux ni avec le monde extérieur. Même les quelques plans où ils évoluent ensemble, leurs relations passent par des codes télévisuels, qui ôtent toute spontanéité. Dans des attitudes et des répliques stéréotypées, ils rejouent naïvement des rôles d’adultes dans des mises en scène de films de genres. La force de l’œuvre réside dans cette capacité à créer une dramaturgie et un suspense dans un montage dense et chaotique. Les qualités formelles du film, tant pour la lumière que pour le collage d’éléments disparates, en font une œuvre unique. A la fois transgressif et controversé, dans le regard sur l’enfance et sur la culture occidentale, le montage entraîne le spectateur dans la dérive des deux enfants.



Patricia Maincent