Performing The Border, 1999

Betacam SP, PAL, couleur, son


Performing the Border est une vidéo documentaire filmée à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, dans la ville de Ciudad Juarez, du coté mexicain. Dans une zone proche de El Paso, au Texas, où les industries américaines ont construit des usines d'assemblage de composants électroniques et numériques. Ursula Biemann observe la frontière par le prisme de sa féminisation croissante dans les domaines du travail, de la prostitution, des loisirs et des violences. A la manière d'une enquête, l'artiste intègre dans sa vidéo différentes sources de documentation : des interviews de femmes travaillant dans les usines, des prostituées, des activistes et des journalistes. Ces interviews sont ponctuées par un récit en voix off de l'artiste analysant le concept de frontière, mais aussi par des citations et des images d'archives. Toutes ces sources s'intègrent dans un montage rapide, presque télévisuel enrichi par des images de la frontière matérielle et du désert environnant. Ursula Biemann propose une réflexion sur ce que représente la notion de frontière et dans quelle mesure elle influence les conditions de vie et de travail des femmes, à travers l'exemple de Ciudad Juarez. La vidéo est construites en plusieurs chapitres : d'abord une présentation de la frontière en tant qu'espace géographique et "zone de performance", puis la situation des femmes et l'absence de droit du travail, enfin la prostitution et les meurtres dont sont victimes les femmes de la région.


Ursula Biemann prend comme point de départ une publicité proposant aux Etats-Unis la main d'œuvre féminine mexicaine pour un dollar de l'heure. Elle effectue plusieurs parallèles entre la disproportion de la richesse des entreprises américaines et la misère dans laquelle vivent les femmes mexicaines. En effet, grâce à l'ALENA (Accord de libre échange nord-américain) établi en 1994, les entreprises américaines peuvent s'installer à la frontière. Ces usines attirent surtout des jeunes femmes dont le travail consiste à assembler des objets high-tech à la chaine. Ces maquiladoras (moulins dorés) ont peu à peu introduit une culture technologique nouvelle dans les villes du désert. Mais paradoxalement, si les travailleuses contribuent au développement de cette industrie, elles n'en sont pas les premières bénéficiaires.


Les ouvrières des maquiladoras forment la majeure partie de la population de la ville frontière. Elles y ont créé de nouveaux espaces de vie et manières de vivre. Le titre de la vidéo fait référence à la frontière en tant que métaphore d'une performance qui se construit et se déconstruit au gré des mouvements des personnes et des richesses qui la traversent. La frontière ne peut exister sans passage et constitue ainsi espace de transition entre deux sociétés. Elle fonctionne de manière autonome et marginale, sans notion de bien public ou d'aide sociale, sans vraiment suivre les règles d'un territoire ou de l'autre. Comme une sorte de no man's land habité. C'est aux habitantes d'organiser les régulations sociales et économiques de la zone essentiellement. Pour survivre à ce mode de vie et à l'exploitation dans les maquiladoras, l'espoir de traverser un jour la frontière et de vivre aux Etats Unis est un moteur. C'est ainsi que quelques femmes trouvent la force de franchir la frontière en passant par des ouvertures dissimulées. Elles organisent même des réseaux d'aide au passage des femmes enceintes afin qu'elles accouchent dans un hôpital américain, pour que leur enfant naisse citoyen des Etats-Unis.


Ces femmes acceptent ces conditions de travail et de vie car leur salaire constitue souvent le seul revenu de leur famille. Par ailleurs, elles sont souvent résignées face aux possibilités qui s'offrent à elles : devenir ouvrière, domestique dans une maison privée ou en dernier recours, prostituée. Ursulla Biemann rencontre un grand nombre de femmes se prostituant, parfois cumulant le travail à l'usine et la prostitution.


La dernière partie de la vidéo traite des meurtres perpétrés dans la zone. Depuis 1995, près de 350 femmes ont été tuées à Juarez. Pour la plupart d'entre elles, étant arrivées récemment en ville, personne ne les connait et donc personne ne réclame leurs corps. Pour souligner le cynisme d'une telle société, l'artiste insiste sur le fait que le premier souci est de dissimiler l'identité de l'entreprise pour laquelle elles travaillaient.


Priscilia Marques