Vigilance, 1991

en circuit fermé
5 à 10 caméras de surveillance, 10 à 20 moniteurs noir et blanc, 2 à 4 vidéoprojecteurs, 1 ordinateur,
1 bande vidéo, PAL, noir et blanc, son,


Julia Scher a commencé sa pratique artistique par la peinture, mais, ayant grandi en Californie du Sud, berceau des industries de la télévision et du film, elle s'est rapidement orientée, avec un regard critique, vers l'image en mouvement. Au milieu des années 1980, des moniteurs de télévision commencent à apparaître dans ses peintures de paysages et, vers la fin de la décennie, elle crée des œuvres vidéo faisant intervenir la surveillance. Très tôt, son travail anticipe le monde aliéné par la surveillance que nous connaissons aujourd'hui. Vigilance, de 1991, montre bien l'intérêt complexe que Julia Scher porte aux systèmes de sécurité, qu'elle utilise à la fois comme moyen de critique sociale et comme matériel artistique. Dans cette installation créée pour le Centre Pompidou, elle a placé plusieurs caméras de surveillance noir et blanc dans des espaces inattendus et vides du musée. Les visiteurs sont filmés et, lorsqu'ils se déplacent à l'intérieur du musée, ils peuvent voir leur propre image sur des moniteurs situés dans d'autres pièces. Mais ils voient également des images préenregistrées montrant d'autres gens situés dans les mêmes espaces et qui se comportent souvent de manière agressive. Les visiteurs ne sont cependant pas conscients du fait que ces images ont été enregistrées au préalable. Ils pensent qu'il s'agit d'images tournées en direct et commencent à s'inquiéter réellement. Ils voient des gens qui se battent ou gisent nus sur le sol mais ne savent pas où ils sont précisément, ni s'ils ont besoin d'aide. On sent bien qu'une certaine panique pourrait surgir – une panique générée précisément par ces systèmes de "sécurité" censés offrir confort et protection. Pour Julia Scher, les systèmes de sécurité ne sont absolument pas sécurisants. Ils sont des instruments de pouvoir et des symboles de contrôle. Julia Scher explique à propos de cette œuvre : "Je veux explorer les différentes textures émotionnelles qui se cachent derrière la prétendue douceur de la haute-technologie. Je veux comprendre comment nous pouvons vivre sans nous engourdir en cherchant notre chemin dans une arène électronique apparemment paisible et qui masque en fait de nombreux dysfonctionnements, angoisses et phobies." L'utilisation que fait Julia Scher de la vidéosurveillance est une manière de décréter la fin de l'innocence amorcée par les caméras de surveillance. Lorsque nous pensons que nous sommes seuls, nous déplaçant dans la ville ou dans n'importe quel espace, et que nous sommes surveillés, ce moment intime nous est volé. Au moment précis où nous nous sentons le moins conscients de notre propre personne, où nous imaginons que des pensées ou des impressions spontanées peuvent sortir de notre bouche (et que nous pouvons parler à haute voix) sans aucune honte, nous rougissons à l'idée que l'on nous regarde. Nous ne nous autorisons plus à être seuls avec nous-mêmes dans des lieux publics, car nous réalisons que nous ne le sommes pas. Dans les installations de Julia Scher, nous devenons aussi, d'une manière tout à fait perverse, partie prenante de ce réseau de surveillance paranoïaque et voyeur. Julia Scher permet aux visiteurs d'observer les autres aussi bien qu'eux-mêmes. Bien que son travail soit teinté d'humour et de parodie, il est devenu bien plus lourd de sens depuis que la menace du terrorisme mondial a fait de la surveillance un élément banal de nos vies quotidiennes. Julia Scher nous a fait rire de nous-mêmes à l'écran et plaisanter avec une femme agent de sécurité visiblement fictive, habillée en rose : il n'est pas sûr qu'elle puisse continuer aujourd'hui encore à garder le sourire.




Michael Rush

Traduit par Émilie Benoit