Mariachi 17, 2009

Format 4/3, son stéréo


Mariachi 17 a été réalisée dans la salle Caecilia de la Comédie de Genève, en Suisse. Cette vidéo crée un effet paradoxal de collage en comprimant une grande densité d'activités chorégraphiées dans un plan séquence de 25 minutes. La Ribot y utilise sa technique du "corps opérateur", entreprise en 2003 avec des soli confiés à des personnalités de la danse et du théâtre, où la caméra est portée à la main par les interprètes eux-mêmes. Travelling Olga et Traveling Gilles (2003), de même que Quarto de Oro (2008) et Beware of Imitations ! (2014) font partie de cette série, qui s'attache à explorer l'inframince séparant le corps en mouvement et l'espace environnant. Il s'agit aussi d'une réponse expérimentale de la chorégraphe espagnole à l'approche de la vidéo par le monde de la danse, poussant plus loin les expériences menées par la génération de Merce Cunningham et de Trisha Brown, où les danseurs et danseuses portaient sur scène ou en studio des caméras harnachées au corps. Dans la pratique du corps-opérateur de La Ribot, la figure humaine s'esquive, elle cesse d'être l'objet du spectacle. La danse a lieu in absentia dès lors que l'écriture vidéographique prend le relais de l'écriture chorégraphique. Elle se transfère dans l'espace-temps de l'image, à la fois limitée par la mobilisation de la main qui tient l'outil, et redéployée à travers la coordination proprioceptive du geste, de la réalité observée en temps réel et de l'anticipation mentale de sa représentation.


Ainsi, dans Mariachi 17, les interprètes, les actions et le paysage ne font qu'un. Cette fois, trois danseuses chorégraphes partagent la construction vidéographique : Marie-Caroline Hominal, Delphine Rosay et La Ribot. L'œuvre est entièrement filmée par une petite caméra DV dont le maniement est étroitement intégré aux mouvements des trois danseuses. Celles-ci s'alternent pour assumer le rôle d'opératrices, complexifiant dans cette auctorialité multiple l'espace et la dramaturgie de l'image. À travers l'œil de la caméra, leurs déplacements donnent à découvrir des points de fuite et des gros plans inhabituels dans les lieux inexplorés des coulisses du théâtre où La Ribot a créé un truculent scénario d'objets. Des miroirs, un échafaudage, des costumes de scène, des photographies d'architecture de Miguel de Guzmán filmées en gros plans se télescopent dans des ruptures d'échelles et de perspectives. Des extraits de cinéma hollywoodien dont la diffusion est synchronisée au plan séquence sont autant de références à l'artifice scénographique : le célèbre film de ballet The Read Shoes (Michael Powell et Emeric Pressburger, 1948), le film catastrophe aux effets spéciaux de carton-pâte Earthquake (Mark Robson, 1974) et le film d'horreur potache Crimewave (Sam Raimi, 1985). Le titre de l'œuvre, clin d'œil à la musique de scène traditionnelle du Mexique réputée pour son tempo virtuose, évoque l'énergie d'un ensemble haut en couleurs. La prouesse de réalisation de cette vidéo-chorégraphie, au rythme de la musique électronique acide d'AtomTM, produit un effet de foisonnement disruptif. Dans cet espace baroque, mises en abyme et autres pièges optiques cèdent progressivement le pas au chavirement complet de la gravité. Partagée par des interprètes entre danse et performance, la perception s'affole et culbute, tendue sur la trajectoire d'un œil-corps.



Marcella Lista
Juin 2020