The evening passes like any other. Men and women float alone throught the air. They drift past my window like the weather. I close my eyes. My heart is a moth fluttering against the walls of my chest. My brain is tangle of spiders wriggling and roaming ar, 1998

3 pierres en fibre de verre avec 18 haut-parleurs, 4 moniteurs, 4 lecteurs DVD, 1 lecteur CD, 1 égaliseur,
4 bandes vidéo, PAL, 1’30’’, 1 CD audio, 3’ (anglais), couleur, son stéréo


L'artiste en dormeur, en rêveur ou bien en clown allongé par terre : il est fréquent que dans ses œuvres Ugo Rondinone pénètre le terrain incertain des émotions. Le sol vibre de ses lignes ondulantes, des voix venues de sources inattendues chantent dans les oreilles du visiteur, et les installations sont composées d'objets qui lui semblent aussi étranges que familiers. Ils se présentent au visiteur comme des impressions de déjà vu ou des sensations indéfinissables et pourtant familières : il a devant lui des balles, des murs ou des colonnes en éclats de miroirs, ou bien, comme ici, des espaces très suggestifs avec d'énormes galets, d'où s'échappe une voix et qui, contre toute probabilité physique, semblent être en suspension sous le plafond. Rondinone esquisse avec assurance des bribes d'expérience à la fois subjectives et archétypiques : des réalités oniriques. En incitant le visiteur à toucher, regarder et écouter, cet art donne la priorité à sa perception instinctive. Ainsi, celui-ci fait l'expérience de son corps comme source de connaissance et devient un participant de cette sorte de "poème-performance ". On sent déjà dans les titres de Rondinone la suggestion poétique et nostalgique de ses travaux. Et, comme les hommes et les femmes qui, dans le titre*, passent en planant devant la conscience du " je " lyrique, nous aussi nous glissons dans cet espace d'installation carré. Un horizon artificiel jaune fluo entoure les trois énormes galets de rivière peints en blanc éclatant qui pendent du plafond. Pour passer à côté d'eux, nous ralentissons involontairement notre rythme et, quelque peu désorientés, nous approchons à tâtons des quatre petits moniteurs vidéo blancs, sur lesquels des scènes non spectaculaires sont diffusées en boucle. Ici aussi règne la légèreté : nous voyons une voiture qui ne cesse de traverser l'écran, un paysage enneigé, un corps masculin habillé dérivant dans l'eau et une femme nue sautant infatigablement en l'air. Le rythme des images est accompagné d'une phrase également en boucle : " What could be better, nothing is better " (" Qu'est-ce qui pourrait être mieux, rien n'est mieux "). Dans la magie presque hypnotique de cette musique du langage, les scènes donnent l'impression d'être des souvenirs universels. S'il arrive dans d'autres œuvres que nous soyons les témoins d'une quête intérieure (comme dans Roundelay, 2003), ici nous entrons en scène comme de véritables protagonistes. Nous marchons dans ce court parcours qui nous conduit en cercles répétés autour des trois sculptures-cailloux comme si elles étaient des sirènes – mais en même temps nous effectuons un travail intérieur. L'échelle inhabituellement grande des pierres ralentit idéalement notre progression, et peu à peu nous flottons plus que nous ne marchons. Le caractère énigmatique et intime de ce monde blanc étonne et incite à remplir l'espace de sa propre réalité. Nous connaissons bien ce procédé dans le brouillage de ses photos noir et blanc, le tremblement de ses poèmes de néon, de ses peintures-cibles, et l'utilisation de musique ou de voix immatérielles qui créent une atmosphère. Celui qui se laisse étonner et entraîner un instant dans l'œuvre de Rondinone ressent dans tout son corps cette conviction de Mallarmé : " Nommer un objet, c´est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème. [...] Le suggérer, voilà le rêve. "



Gaby Hartel



Traduit par Émilie Benoit



* The evening passes like any other. Men and women float alone through the air. They drift past my window like the weather. I close my eyes. My heart is a moth fluttering against the walls of my chest. My brain is a tangle of spiders wriggling and roaming around. A wriggling tangle of wriggling spiders. (“Still Smoking” Part IV)

La soirée passe comme toutes les autres. Les hommes et les femmes flottent seuls dans les airs. Ils dérivent devant ma fenêtre comme le temps qu'il fait. Je ferme les yeux. Mon cœur est un papillon de nuit voletant contre les murs de ma poitrine. Mon cerveau est un enchevêtrement d'araignées qui se tortillent et vagabondent. Un enchevêtrement tortillé d'araignées se tortillant. (“Still Smoking” Partie IV)