Esprits de Paris, 2001

Mike Kelley (1954) / Scanner aka Robin Rimbaud (1964)
Esprits de Paris, 2001
Disque audio numérique compact, stéréo, 60'13''
Edition Compound Annex Records, 2003
Collection Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, Paris, France


Esprit de Paris a été réalisée dans le cadre de l'exposition Sonic Process présentée en 2002 au Centre Pompidou. Cette exposition s'interrogeait sur la création musicale électronique de ces dix dernières années et son rapport aux arts visuels.
L'artiste américain Mike Kelley, connu pour ses installations mêlant sculptures, vidéos et sons, a collaboré sur cette œuvre avec Robin Rimbaud, alias Scanner, musicien et artiste plasticien qui a élevé l'ambiant music au rang d'art conceptuel, utilisant des pièces sonores dans ses installations et performances. Dès ses premières œuvres, il travaille avec un scanner pour détourner des extraits de conversations téléphoniques et d'émissions de radio afin de les capter et les mixer en direct lors de ses performances.
L'œuvre sonore qu'ils ont conçu ensemble est bâtie autour d'enregistrements de silences et de bruits urbains capturés dans des lieux parisiens témoins de faits historiques et ésotériques. Partant du postulat que les lieux conservent une mémoire des événements qui s'y sont produits, ils ont suivis un guide du Paris mystérieux et se sont rendus notamment à l'ancien domicile de Serge Gainsbourg, dans celui de Tristan Tzara, à l'adresse où Lautréamont est décédé et sur la tombe de Jim Morrison.
Esprit de Paris fait référence à l'Electronic voice phenomena, les expériences d'enregistrements des voix des esprits pratiquées dès la fin des années 1950 par Friedrich Jurgenson, artiste et medium suédois et Konstantin Raudive, psycholoque letton et élève de Carl Jung. Ils tentèrent de communiquer avec des morts en utilisant des appareils électroniques comme le téléphone ou la radio pour médium, les voix désincarnées se manifestant par des borborygmes sur des bandes magnétiques ou sur les ondes des fréquences émettrices. Les enregistrements de Konstantin Raudive avaient été inexploités jusqu'à ce que William Burroughs les réinterprète dans son essai Its Belongs To The Cucumbers (1976). Les dix mille enregistrements que réalisa Konstantin Raudive n'acquirent pas de valeur scientifique, mais influencèrent le travail d'artistes musiciens comme Genesis P. Orridge et The Smiths. Mike Kelley s'est quant à lui intéressé aux expériences sur bande magnétique dès le milieu des années 1970 alors qu'il faisait de la musique bruitiste et de la musique concrète. Il assimile l'étude des sons émis par le biais d'une machine conçue pour entrer en contact avec un monde aux dimensions inconnue aux pratiques de l'ambiant music. De plus, les bourdonnements sonores, les répétitions, propres à l'utilisation des machines sont beaucoup utilisés dans la musique minimale, principalement synonyme d'onirisme.
Les lieux choisis par Scanner et Mike Kelley ont été enregistrés à la fois en vidéo et sur un magnétophone numérique. Dans le but d'amplifier les propriétés auto-enregistreuses de l'expérience, les artistes ont laissé le cache sur l'objectif de la caméra vidéo et ont débranché le micro du magnétophone audio. Ainsi les machines n'enregistrent qu'elles-mêmes, et non les lieux où elles se trouvent. A la fin de la capture, le signal qui semble vierge de tout son, est amplifié par les artistes, et il en résulte un enregistrement de bruit blanc, un son bruité continu qui contient toutes les fréquences du spectre auditif. Le niveau d'émission a été exagéré de façon à ce que le moindre souffle ou chuchotement soit accentué. Ainsi, les anomalies détectées sur les bandes sont au premier plan et mises en boucles, traitées de la même manière que l'étaient les voix enregistrées par Konstantin Raudive provoquant un effet mystique et onirique.

Priscilia Marques